J'avais trouvé refuge dans une vieille cabine téléphonique.

Une fois n'est pas coutume, Daytona Beach se tassait sous un ciel gris. D'épais nuages chargés de pluie avaient surplombé la ville toute la journée et se déchargeaient à présent de leur pesant - et humide - fardeau. Les gouttes d'eau giclaient contre la paroi en verre du téléphone public. Je grelottai, mais pas seulement parce que j'avais eu le temps de me prendre la saucée avant de me réfugier ici. J'étais encore sous le choc de ce qu'il venait de se produire, comme en attestaient mon oeil au beurre noir et ma lèvre fendue.

Sébastian m'avait totalement prise par surprise, lorsqu'il m'avait rejointe à la sortie du lycée, seul, une lueur mauvaise dans le regard. Je savais qu'il n'avait pas encore digéré mon intervention de l'autre jour, devant McKnight, Deno, et toute la classe. Je savais qu'il chercherait à s'en venger d'une manière ou d'une autre, mais je n'imaginai pas qu'il irait aussi loin. Malgré les insultes et les moqueries, malgré les humiliations et les chahutages, il ne s'était jamais montré violent. Il n'avait jamais levé la main sur moi. Jusqu'à aujourd'hui.

Recroquevillée dans le coin de la cabine, trempée jusqu'aux os et grelottante, je ne savais pas quoi faire. Je ne voulais pas rentrer chez moi et affronter le regard étranger de mes parents. C'était certainement stupide, mais le fossé qu'il y avait entre eux et moi me faisait craindre leur réaction. J'avais peur qu'ils m'ignorent, qu'ils restent aveugles à ma souffrance. Absurde, certainement. Mais la peur est absurde par nature.

Ma première idée avait été d'appeler Billy. Mais son numéro était enregistré sur mon téléphone portable que Sébastian s'était fait une joie de démolir, comme il avait détruit la plupart de mes affaires. En farfouillant dans mon sac à dos, j'avais finis par retrouver la carte de visite du Commandant McKnight, et je la fixai depuis cinq bonnes minutes, essayant de trouver le courage de composer le numéro. Mais que pouvais-je faire d'autre ? Quelle autre solution avais-je à ma portée ?

Je pris une grande inspiration, me redressai et tapai sur les touches, le combiné tremblant contre mon oreille. J'entendais sonner.

En espérant qu'il décroche. Ou en le redoutant.
Je n'en étais pas certaine.

La voix grave du Commandant, légèrement déformée par le téléphone public, résonna étrangement dans ma tête, me faisant presque sursauter. Je restai une seconde muette, incapable de savoir quoi dire. Je déglutis finalement avant de parler.

- Co... Commandant ? C'est Jeyne... Je...

Patate, présentes-toi mieux que ça. Il doit à peine se souvenir de toi. Je pris une grande inspiration avant de reprendre, plus clairement.

- Je suis Jeyne Swann. On s'est vu l'autre jour au lycée lorsque vous êtes venu parler à ma classe du Projet Chimère. Je... Vous m'aviez donné votre carte et... enfin, je veux dire... Hum. Je ne veux pas vous déranger, mais...

Les mots m'échappaient, me glissaient pitoyablement sur la langue.

Suivant les conseils du Commandant, j'inspirai un grand coup et lorsque je repris la parole, ce fut d'une voix un peu plus assurée.

- J'ai un problème... En fait, je... J'ai besoin d'aide. Pour... Pour porter plainte à la police.

Les mots étaient sortis tout seul, avec une fluidité qui contredisait mon état d'esprit désemparé. Et entendre ces mots, mes propres mots, me fit un bien fou. Comme si cette décision était un point d'encrage auquel me raccrocher. Pour ne plus me noyer dans cette horrible situation que j'avais laissé s'installer. Pour me sauver de cette vie passée à subir sans rien faire, sans réagir.

- Sébastian m'attendais à la sortie du lycée. Il m'a frappé.

Le calme et la détermination qui perçait soudain dans ma voix me surprirent moi-même.

- Je... Je suis dans une cabine téléphonique... Derrière le lycée... A côté du parking du McDonald's.

Les sanglots perçaient à nouveau dans ma voix, et je dus faire un véritable effort pour les contenir, à peu près. Je me raccrochai toujours à l'idée de porter plainte, comme à une bouée de sauvetage. Parce que c'est ce qu'il fallait faire. C'est ce que je devais faire.

- Si vous pouviez venir... je...

Je me mordis la langue. Comment expliquer que j'avais peur d'aller voir mes parents ?