Je suis un pur produit de la Floride. Je suis né et j’ai grandi à Daytona Beach, dans un petit pavillon banal en bord de mer. Ma chambre était face à l’océan, à deux pas de la plage. Mon père tenait déjà le café-théâtre, mais à l’époque bien entendu, il ne s’appelait pas le Croco Deal. Enfant, j’étais d’un naturel plutôt rêveur. Il était un rituel, chaque soir. Mes parents me lisaient une histoire. Comme la plupart des enfants, je grandis avec les contes. De tous, mon préféré était Peter Pan. Mais il ne vint jamais me chercher pour m’emmener au Pays Imaginaire… Mais pour un enfant, le café-théâtre de mon père avait tout du monde merveilleux de Peter Pan. Les petits garçons rêvent souvent d’être des preux chevaliers ou des super-héros, moi, je voulais être pirate. Capitaine Crochet, mais en mieux.

Grandir dans un café-théâtre, c’était une expérience hors normes. J’assistais quelques fois en cachette à des représentations. Illusionnistes, magicien, acteurs de théâtres…. Je me faufilais dans la salle, me perchais à un endroit où personne ne ferait attention à moi. Et je profitais du spectacle. Quelques fois, j’allais apprendre des tours de passe-passe auprès d’un magicien. Les autres, je les appris dans les bouquins. A l’école, je roulais ainsi mes petits camarades. J’étais un expert en tours de cartes et autres illusions. Je pigeonnais ainsi mes amis et mes ennemis, seulement, avec les premiers, j’y mettais de la forme pour éviter qu’ils ne se vexent. J’étais aussi doué pour raconter des histoires. En menteur convaincant, c’était facile de créer des histoires. Autant dire que j’eus une enfance loin d’être ennuyeuse.

Puis vint le lycée. Le temps des premiers amours. Le temps de la concurrence aussi. J’étais loin d’avoir un physique désagréable, mais je n’étais pas le seul, bien que relativement épargné par l’acné. Les premières déceptions amoureuses… ou comment se rendre compte qu’au final, on peut donner ce qu’on a envie de donner et prendre ce qu’on veut. J’étais assez loin d’être l’élève modèle. J’étais souvent effronté, insolent, quasiment invivable aux yeux des professeurs, un dieu de l’impertinence aux yeux de mes camarades. J’étais l’amuseur public, ce que certains professeurs ne toléraient pas vraiment. Ce qui faisait surtout ma popularité auprès des autres élèves. Voilà, j’étais un élève doué pour amuser la galerie, mais un peu moins pour étudier.

Je ne sais pas exactement quand mon don est apparu. Disons que ma façon d’agir a toujours été proche de ce don. Je pense cependant que la plus flagrante manifestation a eu lieu vers mes dix-sept ans. A l’époque il m’arrivait un peu d’aider mon père au café. De quoi me faire de l’argent de poche. Il s’agissait souvent de faire la plonge ou de servir, mais quel que soit le poste que j’occupai, j’avais toujours vue sur le spectacle. C’était un soir de printemps pas trop chaud pour la saison, mais sans qu’on se les gèle non plus. Une soirée à thème, comme il arrivait que mon père en organisât. Rien d’hors du commun. Comme à mon habitude, j’avais enfilé un costume assez élaboré de pirate. Eh oui, même adolescent, j’avais toujours cette fascination pour les boucaniers. Il me manquait juste le tricorne, et j’aurais été plus vrai que nature. Ce soir-là, j’avais agrémenté l’habit d’un crochet un peu grossier, il ne fallait pas qu’il m’empêche de travailler. Plusieurs fois, on me félicita pour mon costume, ce qui était assez inhabituel. Les gens me firent plusieurs remarques, comme quoi le crochet paraissait réel, et lorsque je baissai les yeux, je crus un instant que c’était vraiment un crochet… puis, il m’apparut comme le simple gadget que j’avais ajouté au costume.

A partir de ce moment-là, je guettais ce drôle de phénomène, pour essayer de comprendre. Il m’apparut ensuite qu’il fonctionnait aussi avec les tours de cartes que je connaissais, et bien d’autres encore. Si bien que je me passionnais plus pour cette aptitude particulière que pour mes cours, mais ça, ça ne changeait pas vraiment. En dehors de ce qui touchait à la littérature, peu de choses m’intéressaient. Après la fin du lycée, je partis à la fac, faire des études en lettres – parce que ça me plaisait – ainsi qu’en comptabilité – parce que mon père comptait sur moi pour reprendre le café un jour et tout gérer moi-même, bien entendu. La deuxième partie ne m’intéressait pas particulièrement, mais je ne pouvais pas dire non. De mon côté, je continuais à pratiquer mon « don », car ça en était bien un. Il restait facile à utiliser avec des objets, mais la difficulté venait quand j’essayais de le faire sans objets. Je récoltais ainsi un bon nombre de migraines.

L’année où je validais mon diplôme, mon père fit un AVC, si bien que je dus reprendre le café-théâtre avec un peu d’avance, faisant les tâches qu’il ne pouvait plus faire. Il y eut quelques couacs au départ, mais je connaissais assez bien mon affaire. Quand il se retira totalement des affaires, je rebaptisais le café « Croco Deal ». Mais seul le nom changeait, je comptais bien garder le café à l’image de celui qu’avait créé mon père.

Le 17 mars 2004, le monde fut bouleversé par l’apparition des « mutants ». Le Projet Chimère, comme ils l’avaient appelé. Une utopie digne du Pays Imaginaire, à mes yeux. Je n’y prêtais guère attention, mais cependant, autour de moi, le monde s’éveillait soudain. Je remarquais assez vite qui était mutant et qui ne l’était pas. Je rencontrais aussi James Matterson, mais entre nous, le courant n’est jamais très bien passé. Je suis un fieffé menteur, il sait quand on lui ment, ça ne peut pas trop adhérer entre nous, au final… Mais nous sommes quand même en accord sur un point : il y a anguille sous roche.

Il est hors de question pour moi de mettre les pieds à l’Academy. Que les Heros viennent passer une soirée chez moi, pas de problème. Me joindre à eux, ça, ça posait un gros problème.

Voilà. Vous savez ce qu’il y a à savoir sur moi. Du moins,… En partie.

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