J'attaquais le débat avec un sujet qui était sur toutes les lèvres depuis peu : les rumeurs sur une possible Journée Portes Ouvertes à l'Academy. Le Commandant McKnight parut surpris par la question, mais le cacha fort bien, malgré son manque d'expérience du domaine télévisuel.

- C'est exact, ces rumeurs sont totalement fondées. Mais à l'heure actuelle, il s'agit surtout d'un projet.

Il marqua une pause qui se voulait calculée.

Un simple projet ? Humm, il faudra que je pense à lui demander pourquoi ils ont attendu neuf ans avant de songer à organiser ce genre d'évènements...

- Le but est simple. Il s'agit surtout de montrer comment se déroule la vie à l'Academy, mais aussi, avec diverses activités, prouver que la cohabitation entre les "mutants" et les "humains" est tout à fait possible, et, avec une série de jeux simples et d'activités en tout genre, prouver qu'il n'y a qu'ensemble que nous pouvons réussir.

Rover tiqua légèrement mais se reprit bien vite. Je notai mentalement l'incident, prévoyant de rebondir dessus plus tard.

- Bien entendu, pour l'instant, ce n'est encore qu'à l'état de projet, rien n'est concrètement planifié... Mais les jeunes - et moins jeunes - de l'Academy se sont montré enthousiastes et favorables à cette idée. Nous espérons juste que si cette idée devait se réaliser, tout se déroulerait dans les meilleures conditions possibles. Tout ce que je peux dire, c'est que ce projet tient aussi beaucoup à cœur au Sénateur Hewitt et de tout ceux qui ont décidé de s'impliquer et que nous allons tout faire pour que ce soit une réussite.

Je hochai la tête.

- Et c'est tout à votre honneur. Si je puis me permettre, vous êtes réputé pour vous impliquer à fond dans ce que vous entreprenez.

Je me tournai vers Rover, qui arborait un sourire confiant. Il était temps de l'inviter à rebondir sur ce qui avait été dit.

- Monsieur Rover, que pensez-vous d'une telle initiative ?

Je participais à un débat retransmis en direct depuis les studios de TV News. Ce n'était pas la première fois que j'étais invité à une discussion télévisuelle de ce genre - après tout, j'étais l'un des acteurs les plus déterminants du mouvement anti-mutant dans la région - mais je n'y avais encore jamais rencontré le Commandant McKnight. Ce dernier n'était pas très friand des médias : quelques conférences de presse - organisées avec une rigueur toute militaire - par ci, par là, mais guère plus. Sa démarche quelque peu raide, lorsqu'il entra sur le plateau, le prouvait largement.

J'étais donc un peu curieux, et impatient, de me mesurer à lui dans cette joute verbale et médiatique. Je n'avais croisé physiquement le personnage qu'à de rares occasions, toujours formelles, mais nous étions tous deux "adversaires" depuis bien plus longtemps, à travers nos idées et nos actes.

Lorsque le journaliste annonça mon nom, je m'avançai sur la piste, assuré et confiant, sourire aux lèvres. Je m'installai confortablement sur mon siège, détendu mais à l'affût. Je croisai brièvement le regard de McKnight. On aurait pu croire qu'il avait un manche à balai dans le fondement. Le présentateur lança le débat en interrogeant le Commandant sur les rumeurs qui courraient depuis peu sur les "Portes Ouvertes de l'Academy". Si mes contacts avaient raison, ce n'étaient pas que de simples rumeurs... Ce que confirma le Saint Patron des Mutants.

Il embraya en parlant de la cohabitation entre mutants et humains, avec des arguments aussi percutants que "il n'y a qu'ensemble que nous pouvons réussir". S'il n'avait pas été aussi... "militaire", il aurait fait un bon politicien. Il avait déjà un slogan tout trouvé pour une campagne présidentielle mensongère. Il me fallut un certain effort pour masquer mon rictus exaspéré, ce qu'un œil avisé ne manquerait pas d'observer. McKnight reprit, en citant entre-autres l'enthousiasme des participants et le cœur du Sénateur Hewitt.

Tout va bien au pays des bisounours.

Après avoir passé un peu de cirage sur les bottes de McKnight, le journaliste se tourna vers moi, me donnant la parole :

- Monsieur Rover, que pensez-vous d'une telle initiative ?

Direct et sans fioritures.

- Je pense qu'il s'agit là d'une simple manœuvre pour contrer la recrudescence des idées anti-mutantes. Une manœuvre quelque peu... maladroite si je puis me permettre.

Il était temps de passer aux choses sérieuses.

- Vous vous efforcez de faire passer l'Academy pour une école ordinaire qui invite de potentiels futurs étudiants à découvrir ses merveilles. Mais, à ce que je sais, cette école n'a ni programme scolaire fixe, ni examens de fin d'études... Vous ne dispensez même pas de cours à proprement dit. Le terme d'école n'est qu'une façade. Que vous entretenez soigneusement avec des évènements de ce genre.

Le Projet Chimère n'était qu'une vaste mascarade. Mais s'il s'était seulement agi de deux clowns parlant dans le vide, cela n'aurait guère eut d'importance. Alors qu'au contraire, ils entretenaient chez la population une fascination malsaine envers des êtres dangereux et contre-natures.

- Et derrière toutes ces simagrées, qu'y a-t-il ? Vous nous invitez à entrer dans la fosse aux lions pour jouer à chat avec de jeunes mutants inexpérimentés qui pourraient provoquer une catastrophe à tout moment. Voilà la réalité. Celle que vous nous cachez, et que vous refusez vous-même de voir.

Je me redressai légèrement, histoire d'avoir plus d'aplomb avant de conclure :

- L'Academy n'est pas un centre de loisir, ni même un parc animalier. C'est une bombe à retardement.

J'écoutais l'intervention de Rover avec une bonne envie de lui rire au nez, mais ce n'était pas vraiment le moment. Il était tellement pressé de déverser sa bile qu'il ne prenait même pas la peine de nuancer ses propos. Un rien agaçant. Je le laissais toutefois déverser sa bile. Le journaliste n'en perdait pas non plus une miette. Quand Matthew termina sa tirade, je jetais un coup d'oeil vers notre interviewer qui n'avait pas l'air de vouloir reprendre immédiatement la parole.

- Vous permettez ?

Je ne savais pas s'il comptait enchainer avec une nouvelle question. Il me fit signe de continuer.

- Tout d'abord, l'Academy n'est pas une école au sens littéral du terme. Vous connaissez beaucoup de jeunes qui, en plus de passer près de huit heures par jour dans une salle de cours, recommenceraient dès qu'ils sont sortis ?

Il y eut quelques rires dans la salle. Le point était manifestement pour moi, si on la jouait à qui va le plus marquer de points.

- Si l'on devait décrire le fonctionnement de l'Academy, ce serait plus comme une équipe sportive que comme une école. Les jeunes que nous accueillons ont très rarement des aptitudes semblable, mais les plus anciens d'entre eux, et les "mentors" - les professeurs, si vous préférez conserver un cadre scolaire- sont là pour les aider à comprendre leur fonctionnement et comment éviter de mal les utiliser.

Je pris le temps de boire une gorgée d'eau.

- Et nous sommes entièrement conscients des risques. Si c'était si dangereux que ça de permettre à des gens de franchir les portes de l'Academy, nous nous y "amuserions" pas. Tous les mentors seront là pour superviser le déroulement de la journée et les jeunes qui ne se sentiront pas suffisamment à l'aise pour participer n'y seront pas forcés.

C'est que je m'amusais presque à contredire méthodiquement ses arguments. Je me sentais un peu plus à l'aise à présent. Je croisais les doigts, les coudes en appui sur les genoux.

- Cela fait près de neuf ans désormais que le Projet Chimère a vu le jour. En neuf ans, nous avons appris à mieux comprendre le fonctionnement des différentes formes de "pouvoirs". Les premiers mutants que nous avons accueillis aident aujourd'hui les "nouveaux" et ont une vie parfaitement rangée et normale. C'est aussi pour montrer cette évolution que nous souhaitons inviter les gens à découvrir l'Academy. Je peux déjà vous dire ce qu'ils y trouveront : des jeunes pleins d'énergie qui aiment rire et s'amuser. Qui aiment les défis. Qui préfèrent se goinfrer de bonbons, de sodas et de pizzas plutôt que de manger des légumes.

Je crois que j'avais fait le tour de ses arguments. Un léger silence plana avant que le journaliste ne reprenne la parole.