Le week-end était passé depuis le dépôt de ma plainte au Commissariat. J'avais eu le temps de me calmer, de rationaliser un peu la chose. Mon coquard s'était un peu résorbé mais il était toujours visible, malgré le maquillage que ma mère m'avait aidé à mettre pour tenter de le camoufler. Ma lèvre fendue était recouverte d'une croûte rougeâtre qui me démangeait. Mais à part ça, il n'y avait plus de traces visibles de mon agression. Pourtant je redoutais de retourner au lycée, ce lundi promettait d'être encore plus horrible que tous les autres. Ma mère m'emmena en voiture, pour m'éviter de prendre le bus, chose qu'elle n'avait pas faite depuis bien longtemps.

Les cours avaient donc commencés, normalement. Les regards se tournaient toujours vers moi, et les murmures fleurissaient dans mon dos. Je suppose que l'histoire de mon agression et de ma plainte avait déjà fait le tour de l'établissement, ou en tout cas, cela ne tarderait pas. Mais en fait, j'avais l'habitude des coups d’œils jetés en douce et des rumeurs qui traînent derrière mes pas. Et après le premier moment de gêne, je ne me sentais pas plus différente qu'un autre jour. Sébastian était absent aujourd'hui. Et je ne savais pas trop si je devais m'en réjouir ou m'en inquiéter.

La matinée s'égrena, lentement, laborieusement. A la pause déjeuner, j'allais, comme à mon habitude, à la cafétéria. Après avoir pris mon repas, j'allais m'installer à une petite table, miraculeusement libre dans la pièce bondée. J'avais à peine commencé à grignoter qu'un garçon se planta devant moi. Je dus faire un effort pour ne pas me recroqueviller sur moi-même, par réflexe. J'étais nerveuse depuis l'agression.

- Salut, j'peux m'asseoir ?

Avec la cafétéria bondée, j'allais pas dire non, quand même. Alors je me contentais d'hocher positivement la tête. Son visage me disait vaguement quelque chose...

- Luke. Morrigan. Je suis au fond de l'autre côté dans le cours de Deno.

Ah oui, maintenant qu'il le disait...

- Jeyne Swann.

Je m'étais présentée par automatisme, mais il devait certainement déjà connaître mon prénom, comme la plupart des gens du lycée. Après tout, j'étais LA mutante. Surtout depuis mon intervention devant McKnight. Luke posa son plateau, s'assit et commença à manger.

- Sebastian est débile, faut pas faire attention à lui.

Je relevai les yeux et le fixai un bref instant. Je me demandai vaguement si c'était l'intervention de McKnight ou la rumeur de l'agression qui l'avait poussé à venir me parler, ou simplement le manque de place dans la cafet' surpeuplée.

- Plus facile à dire qu'à faire. Il peut se montrer très... envahissant.

Encore une fois, j'eus l'impression que mon coquard clignotait. J'avais du me résoudre, à l'interclasse, à enlever le maquillage dont ma mère m'avait tartiné le visage, parce qu'il coulait et qu'il attirait plus l'attention qu'autre chose.

- Et dans le genre borné, il est doué.

- Bah, ça finira par le lasser, affirma Luke en parlant de Sébastian.

Je fis la moue, peu convaincue. Il n'avait pas vraiment l'air de se lasser lorsqu'il m'avait cognée. Au contraire, il avait l'air d'en vouloir encore plus. Et je n'étais pas vraiment sûre que le traîner en justice refrène ses envies.

- C'était courageux de ta part en tout cas. D'affronter tout le monde comme ça.

J'eus un rictus ironique.

- C'était pas du courage. J'ai agi sur une impulsion.

Je baissais les yeux – et la voix.

- J'aurais sans doute mieux fait de m'abstenir.

Je n'aurais pas aujourd'hui un coquard et une jolie collection de bleus si j'avais fermé ma gueule. Sébastian n'aurait pas cherché à se venger, et il ne m'aurait pas attendu à la sortie du lycée pour me tabasser. Ouais, et je n'aurais pas eu l'occasion de porter plainte. Alors bonne ou mauvaise chose ? J'en avais pas la moindre idée. Je haussai faiblement des épaules. J'avais juste envie de me laisser emporter par les événements, pour le moment.

- Mes grands-parents sont plutôt croyants, et pourtant, ils ne trouvent pas que les "mutants" soient une mauvaise chose. 'Fin. J'veux pas non plus t'embêter avec ça. Tu dois suffisamment en entendre parler.

Je l'observais du coin du l'oeil, ne pouvant m'empêcher de me demander pourquoi il me disait cela. Pour se donner bonne conscience après la leçon de morale de McKnight ? Parce qu'il le pensait vraiment ? Un peu des deux à la fois ? Allez savoir... J'étais peut-être trop paranoïaque. Et asociale.

Bizarrement, cela ne me fit aucun bien d'entendre ça. Quelle importance qu'il y ait des gens « pour » les mutants quand tant de personnes comme Sébastian existaient et agissaient sans que personne ne fasse jamais rien ? Je me mordis la lèvre. J'étais décidément d'humeur bien défaitiste, aujourd'hui.

- Si tu veux, au prochain entrainement de foot, je pourrais malencontreusement rater mon kick et tirer sur Sebastian...

Luke eut une expression de parfait petit ange innocent et il me fallut une seconde pour comprendre qu'il faisait de l'humour pour tenter de me remonter le moral. Tellement peu de gens faisaient cet effort pour moi que je me forçais à sourire, et, étrangement, le sourire vint plus facilement et plus naturellement que je ne l'aurais cru.

- Dis moi, t'as compris quelque chose au dernier cours de littérature ? Je crois que le prof m'a largué au bout d'un quart d'heure.

Mon sourire s'élargit, sans même que j'en prenne garde. Certainement le changement de sujet. Tout plutôt que de parler encore de mon problème de mutante. J'y pensais déjà assez toute seule. Alors pas la peine d'en rajouter.

- J'ai tenu une demi-heure avant de décrocher.

Trop occupée que j'étais à m'apitoyer sur mon sort.

- Il a essentiellement parlé de la subjectivité de l'auto-biographie. Des auteurs qui déforment la réalité de leur vie pour satisfaire leur ego, ou au contraire, qui changent la vérité pour faire passer un message, qu'il soit philosophique, politique ou autre... C'est d'ailleurs sur ça que porte le travail qu'il nous as demandé : trouver une auto-bio dans laquelle l'auteur à modifié sa vie, et les raisons pour lesquelles il l'a fait.

Le prof nous avait demandé de rédiger un commentaire sur le texte choisi. Travail qu'il nous avait donné la possibilité de faire à plusieurs, mais que je ferais seule, comme toujours.

Sentant que le sujet des mutants me mettait mal à l'aise, Luke avait embrayé sur un sujet commun à tout lycéen : les cours et les ennuis qui allaient avec. N'ayant été que peu attentif au cours de littérature, je lui expliquai ce que j'en avais retenu et terminai en mentionnant le devoir que nous avions a faire pour la semaine prochaine.

- Oh putain, j'suis mort ! grogna-t-il

Il secoua la tête avec un air dépité.

- J'aurais jamais la moyenne. Tu voudrais bien me filer un coup de main ? Il faut pas que je me rate sur cette interro... Et si t'arrive à tenir une demi-heure ... Ma foi, tu es ma sauveuse.

Il eut un sourire.

- Si t'as un soucis dans une matière et que je peux t'aider, en contrepartie, ce sera avec plaisir.

Je restai muette un instant, surprise par sa proposition d'entraide, et encore plus par la facilité avec laquelle il le faisait. Cela semblait si naturel chez lui, alors que j'avais toujours eu un mal fou à aller vers les autres. Le simple fait d'être allé boire un verre en compagnie de Billy il a deux semaines relevait de l'exploit, et surtout, de l'exception. J'avais toujours été seule, ou plutôt, j'étais toujours restée seule, fuyant les autres comme je fuyais ma nature de mutante, comme je fuyais la réalité. Et voilà que ce garçon débarquait, sourire aux lèvres, comme si je n'étais pas une mutante, comme si je n'étais pas la paria du lycée.

Je fis un petit sourire.

- D'accord. Pourquoi pas. On n'a qu'à faire le devoir de littérature ensemble... vu que le prof a dit qu'on pouvait le faire à plusieurs.

Cela me changerait les idées. Loin de ces problèmes de mutants, d'agressions et de plaintes déposées à la police. Loin de Sébastian.

- J'ai pas vraiment de difficultés dans les autres matières, à part les maths. Mais c'est certainement parce que j'arrive pas à m'y intéresser. J'ai toujours eu du mal avec les maths...

Je haussai vaguement les épaules. Luke acheva son repas.

- Bordel, c'est la dernière fois que je mange au self. Je préfère autant manger ma propre cuisine... voir celle de mes frères et soeurs. Tu manges tous les jours ici ? Non parce que si c'est le cas, je vais vraiment te vénérer.

Je souris.

- Je mange effectivement ici la plupart du temps, mais inutile de me vénérer. Je n'ai jamais su cuisiner et cela fait bien longtemps que ma mère a cessé de me faire un casse-croûte pour le lycée.

J'avais accepté d'aider Luke pour le devoir de littérature et nous avions convenu de travailler ensemble. En contre-partie, il proposait de m'aider dans d'autres matières si j'avais des difficultés. J'évoquai mon manque d'intérêt pour les mathématiques qui se traduisait par des notes plutôt moyennes.

- Je peux peut-être t'aider. Je suis pas non plus Einstein... Quoi que je devrais plutôt parler de Thalès ou Pythagore... mais je me débrouille plutôt bien en maths.

Je hochai la tête en signe d'accord. Puis la conversation dériva sur la qualité de la nourriture servie au self et j'expliquai que je mangeai souvent ici, n'ayant jamais aimé cuisinier et ma mère ayant cessé depuis bien longtemps de me préparer un casse-croûte pour l'école.

- Outch. C'est ça qui est bien quand on est mioche, hein ? ça et l'absence de dissertation.
- Oui, la seule chose qui te préoccupe, c'est la prochaine bêtise que tu vas faire.

Je souris. Pas que j'ai été une enfant indisciplinée, mais il m'était arrivé d'en faire de belles avec mon voisin de l'époque. Et aujourd'hui, ce même voisin me détestait parce que j'étais mutante. Mon sourire se ternit un peu mais je m'efforçai de ne pas repenser à mes problèmes avec Sébastian.

- Je crois que je me rappelle même pas de la dernière fois où ma mère m'a fait un casse-croûte.
- Moi non plus. Je me rappelle, à chaque fois, mon père repassait derrière et glissai une sucrerie à côté du sandwich préparé par ma mère.

C'était notre secret, à lui et à moi. J'avais presque oublié à quel point nous avions pu être complices tous les trois à l'époque. Puis la nouvelle de ma "nature" avait dressé une barrière invisible entre nous. Elle s'était installé peu à peu, progressivement, sans que nous ne nous en rendions vraiment compte. Barrière qui avait littéralement explosé quand mes parents étaient venus me chercher au commissariat ce week-end. Mes parents étaient plus proches de moi, mais il nous fallait encore retrouver un équilibre stable.

- D'ordinaire, j'ai le temps de me cuisiner quelque chose le matin, mais aujourd'hui, j'ai eu le syndrôme de la panne de réveil. Ou de prendre des restes de la veille, remarque. Bon, après je suis pas non plus un grand chef culinaire. On va dire que j'arrive à éviter de faire cramer la maison à chaque fois que je fais la cuisine.
- C'est l'essentiel, fis-je remarquer.

Quoi ? Moi, faire une tentative d'humour ?

- Tu veux qu'on s'y mette quand, à bosser sur le devoir ?

Ce fut mon tour de hausser les épaules.

- On a une heure de libre après le cours d'histoire. On peut peut-être en profiter pour faire un premier repérage à la bibliothèque ?

Lorsque je proposai à Luke de faire un premier repérage à la bibliothèque, après notre cours d'histoire, pour notre devoir commun de littérature, il accepta tout de suite. Il semblait littéralement enchanté par la perspective de cette entraide commune. Il devait véritablement redouter ce devoir.

- Bon, l'histoire, c'est cool, j'arrive à suivre. Pourquoi c'est toujours les profs de litté' qui t'endorment ? Non franchement, on a passé l'âge de nous faire lire des histoires pour nous endormir.

Il sourit.

- Oui, je fais aussi dans la mauvaise fois, des fois.

Je souris à mon tour.

- Les profs de litté ne sont pas tous comme ça. Ma première prof était géniale. Elle était passionnée par ses livres et savait rendre ses cours vivants et intéressants. Il y avait un vrai échange, c'était super.

Je rassemblai mes affaires, puis quittai la cafet' surpeuplée en compagnie de Luke.

- Malheureusement, c'est vrai, la majorité des profs de littérature sont de vieux rabougris qui racontent des histoire à dormir debout parce qu'ils ont fait ça toute leur vie et qu'ils ne savent rien faire d'autre.

Je m'efforçai de tempérer mes propos par un sourire, mais sans grand succès. Ma première prof de littérature m'avait fait découvrir la magie des livres et c'est depuis cet instant que j'étais devenue une passionnée de lecture. Tous les profs que j'avais par la suite en cours de littérature m'avaient déçue, ils ne tenaient pas une seule seconde la comparaison et je trouvai ça dommage.

Nous traversâmes la cour, nous approchant sans trop nous presser de la salle d'histoire. Il faisait bon et plusieurs élèves étaient assis dans l'herbe pour profiter du soleil pendant l'interclasse.

La sonnerie finit par retentir, bien trop tôt, à l'avis général, et j'entrai dans la salle, toujours en compagnie de Luke. Le prof était déjà là, occupé à noircir le tableau de son écriture de docteur. Tout naturellement je m'installai à côté de Luke.

- Ce gars a raté sa vocation, il aurait du faire calligraphe. Ses gribouillis ressemblent presque à de l'art moderne, soufflai-je à voix basse, sourire en coin, tandis que les autres élèves entraient dans la pièce et prenaient place autour de nous.

Mon dieu, est-ce que j'avais réellement réussi à faire de l'humour ?

Mais ma bonne humeur ne dura pas. Alors que la deuxième sonnerie retentissait pour les retardataires, une dernière poignée d'élèves entra dans la salle de cours, et parmi eux, Sébastian. Je me figeai, toute pâle. Les images de mon agression cascadèrent dans ma tête, sa voix haineuse, la violence de ses gestes, la douleur dans mes côtes, le sang sur mon visage. Et la peur, la terreur qui me nouait les tripes et me donnait envie de vomir. Je déglutis difficilement, la respiration bloquée.

Le garçon avait brillé par son absence, ce matin, mais cela ne durerait pas, je le savais pertinemment. J'étais destinée à le revoir tous les jours, au moins jusqu'à la fin de l'année scolaire, je le savais. Et pourtant... Je me mordis la lèvre inférieure. C'était la première fois que je le revoyais depuis l'agression, et j'étais encore plus effrayée qu'au moment de la dite agression. Le contre-coup ? Peut-être.

Sébastian s'installa à une table au premier rang. Il se retourna et croisa mon regard. Et bien sûr, il ne pouvait que se rendre compte de l'effet qu'il me faisait. Il m'adressa un signe de tête narquois avant de se tournai vers le prof qui commença son cours. J'avais à peine conscience de ce qui m'entourait, étouffée par ma propre peur, recroquevillée sur moi-même comme si j'espérais disparaître derrière mon bureau.

Ayant fini de manger, je quittai la cafétéria en compagnie de Luke et nous prîmes doucement la chemin de la salle d'Histoire, notre prochain cours. On discuta un peu, s'amusant à casser du sucre sur le dos des professeurs, activité très prisée par tout étudiant qui se respecte, mais que je n'avais plus pratiqué depuis longtemps, faute d'avoir quelqu'un avec qui le faire. Arrivés à destination, nous nous installâmes côte à côte, critiquant la calligraphie plus que suspecte du professeur d'histoire.

En quelques coups de crayons, Luke esquissa une caricature, assez réussit, du-dit professeur. Je pouffai en silence, ravie de cette complicité qui s'installait peu à peu entre nous. Cependant ma bonne humeur s'envola aussitôt que Sébastian entra dans la salle. Il avait été absent toute la matinée et c'était donc la première fois que je le revoyais depuis l'agression, dont les souvenirs me revinrent avec une précision douloureuse. Je me recroquevillai sous son regard, de nouveau tenaillée par la peur.

- Eh... relax, tu crains rien, on est dans une salle de classe.

La voix de Luke me parvint comme à travers un voile. J'étais toujours tétanisée, incapable de parler ou de bouger, mais une partie de ma peur s'envola. Il avait raison. Sébastian n'oserait rien faire devant une salle complète, et surtout, devant un professeur. J'avais à peine remarqué la réprimande silencieuse que Luke s'était attiré par ma faute. Quelques secondes plus tard, il fit glisser une feuille sur mon pupitre, à côté de son précédent dessin, il avait rajouté une phrase :

"Et en prime, t'as un super garde du corps à côté de toi. Keep cool !"

Ces quelques mots me firent un bien fou. Cela peut paraître peu de choses, mais je n'étais pas habituée à ce que l'on prenne ma défense. Mais c'était plus que ça. Luke ne se contentait pas de « protéger », il se comportait comme... comme un ami.

Et si j'étais trop raide pour lui répondre à voix haute, je griffonnais un smiley sous sa phrase avant de lui rendre la feuille. Je parvins à me concentrer sur le cours et commençai à prendre des notes lorsque la feuille revint encore une fois sur ma table, avec un autre dessin : un âne en tenue de footballeur. Avec le numéro de maillot de Sébastian. Cette fois je laissai échapper un gloussement discret. Le prof se retourna, mais ayant du mal à croire qu'une fille aussi discrète que moi puisse perturber la classe, il revint à son tableau et à ses notes.

Je tournai légèrement la tête et adressai un sourire à Luke. Pas le petit sourire pincé ou forcé qui m'était coutumier. Un vrai sourire. Sincère.

Le cours s'acheva normalement et à la sonnerie, alors qu'il rangeait ses affaires, Luke me glissa :

- Garde les dessins s'tu veux, ça te rappellera la véritable nature de certaines personnes.
- Merci.

Nouveau sourire.
Je glissai la feuille dans mon classeur, et mon classeur dans mon sac avant de sortir en compagnie de Luke. Je me sentais mieux, même si une appréhension diffuse flottait toujours dans mon esprit. Cependant, au bout de quelques pas à peine, j'aperçus Sébastian et sa bande habituelle, qui nous attendait à la sortie du couloir. Si mon estomac se noua, je continuai à avancer, me répétant que j'avais décidé de ne plus me laisser faire et que je devais tenir cette promesse.

- Salut, Jenny, lança mon pire ennemi lorsque nous arrivâmes à sa hauteur.

Je me refusais à baisser le regard. Je détestais quand il m'appelait comme ça. « Jenny », c'est comme ça que m'appelait ma mère, et mes amis. Avant. Je détestais ce ton mielleux et hypocrite qu'il prenait avec moi. Mais je me refusais quand même à baisser les yeux. Les garçons, derrière Sébastian s'agitèrent. Ils semblaient mal à l'aise, et ne me regardaient plus de la même façon. Ils semblaient... nerveux ? Pourquoi ? A cause de la réprimande de McKnight, pendant le cours de Deno ? Ou bien parce que j'avais osé porter plainte contre leur copain, montrant ainsi que je ne me laissais pas toujours faire ?

- Séb, on va au stade, dit l'un d'eux.
- Une minute, j'arrive, répondit Sébastian, sans se retourner.

Ses copains s'échangèrent un ou deux regard indécis, puis s'éloignèrent, me laissant seule avec Sébastian. Luke se tenait toujours à mes côtés.

- Les cours de ce matin étaient intéressants ? Demanda-t-il, sans me lâcher des yeux. Je n'ai pas pu y assister. Deux policiers étaient chez moi, ce matin...

Je m'en doutais.

- Je sais.

Ma voix avait tremblé mais moins que je ne l'aurais cru. Une lueur mauvaise apparut dans le regard du footballeur.

- Tu veux vraiment jouer à ça, Jenny ? Tu sais, mes parents ont déjà téléphoné à un avocat. L'un des meilleurs de la ville. Si tu veux jouer, très bien, mais sache que tu n'as aucune chance...

Je déglutis difficilement, la gorge nouée.

Luke leva les yeux au ciel lorsque Sébastian vint jouer devant moi son numéro habituel de tyran.

- Mais fous lui la paix, un peu.
- Mais c'est qu'il peut aboyer le Rantanplan. Il fait le beau aussi ?

Je sentis Luke se tendre à mes côtés. Je ne compris pas tout de suite le sens du surnom "Rantanplan", jusqu'à ce que je finisse par faire le lien avec Lucky Luke. Fallait aller chercher loin, ce qui en indiquait sûrement long sur Sébastian, je suppose.

- Va faire l'intéressant sur le terrain de foot. Le seul endroit où tu peux briller.

Le quaterback plissa les yeux, l'air mauvais.

- Oh, tu es jaloux, Rantanplan ? Tu ne brilles nulle part, toi...
- Il y a plusieurs façon de briller... soufflai-je à voix basse.

Il me fusilla du regard et je me sentis trembler. Mais je m'interdis de baisser les yeux. Il y eut un silence gênant, puis Sébastian laissa échapper un ricanement.

- Vous allez bien ensemble, finalement. Deux minables...

Je ne pus m'empêcher de hausser les sourcils. C'était facile, comme réplique.

- C'est bas, Sébastian.

Je me tournai vers Luke.

- Viens, on s'en va...





// Bon sang, deux heures devant le pc, pour pondre... ça

// ah ouais, 2h quand même O_o

J'envoyais Sebastian balader. Enfin, c'était mon intention première. Lui montrer que je m'écrasais pas devant lui parce que c'était le quaterback favori de l'équipe et moi la roue de secours dans l'équipe de bottage. Il plissa les yeux et me fixa méchamment. Mais je n'avais pas peur de lui. Je n'allais pas me dégonfler non plus.

- Oh, tu es jaloux, Rantanplan ? Tu ne brilles nulle part, toi...
- Il y a plusieurs façon de briller...
- J'ai pas besoin de briller à courir après une baballe si c'est pour être comme toi.

Même si j'adorais le foot. Je me foutais bien de briller. Comme ma mère l'aurait dit, ce qui importe c'est de défendre ce qui était juste, que seulement ça voulait réellement dire quelque chose. Cette fois ce fut Jeyne qui eut droit à un regard assassin.

- Vous allez bien ensemble, finalement. Deux minables...
- C'est bas, Sébastian.

Elle se tourna vers moi.

- Viens, on s'en va...

Moi, je ne voulais pas m'en aller. Je ne voulais pas m'écraser face à ce... crétin.

- Le minable, c'est le type qui a seulement les couilles de s'en prendre à une fille. Avoue, t'as pris ton pied à t'en prendre à une personne qui ne te rendrait surement pas les coups, hein ?

Je laissais tomber mon sac par terre et poussai Sebastian contre le mur.

- C'est toi qu'on devrait appeler Rantanplan, Hastings. Non, mieux, Averell Dalton. Un grand con.

ça ne me ressemblait pas vraiment de m'emporter, bien au contraire, mais il dépassait les bornes. Puis, sans crier gare, je me pris son poing en plein dans le nez et j'atterris sur mon cul, avec élan. Je me relevais. J'étais prêt à cogner, mais les gens commençaient à s'attrouper et je n'avais pas envie de me prendre une retenue à cause de ce con. Je ramassais mon sac et entrainais Jeyne à ma suite.

- T'es qu'un lâche Morrigan ! Et t'en sera toujours un ! Tu ferais mieux de surveiller tes arrières !

Mon nez me faisait un mal de chien. Fait chier. Et en plus je saignais. De mieux en mieux.

- Quel connard.

- J'ai pas besoin de briller à courir après une baballe si c'est pour être comme toi.

Je pensais surtout qu'il n'y avait aucune gloire à briller de cette façon, courir après une balle, comme disait Luke, n'était pas ce que j'appelais "briller". De toute façon, le masque de popularité de Sébastian n'était que factice, je le savais depuis longtemps. Il n'était qu'une petite brute. Il continua à nous provoquer, nous traitant de minables. J'en avais assez entendu, personnellement. Je n'avais qu'une envie, partir. La présence de Sébastian ne me rappelai que trop bien ma vulnérabilité lorsqu'il m'avait agressée.

Mais Luke ne semblait pas décidé à partir.

- Le minable, c'est le type qui a seulement les couilles de s'en prendre à une fille. Avoue, t'as pris ton pied à t'en prendre à une personne qui ne te rendrait surement pas les coups, hein ?

Je ravalai un hoquet de surprise alors que Luke laissai tomber son sac pour pousser le quaterback contre le mur. Oh, non de dieu, je la sentais mal cette histoire.

- C'est toi qu'on devrait appeler Rantanplan, Hastings. Non, mieux, Averell Dalton. Un grand con.

Dans d'autres circonstances, j'aurais peut-être en rire. Au moins, Luke avait de la répartie, on ne pouvait le nier. Mais Sébastian ne sembla pas apprécier. Rien à voir la lueur haineuse dans son regard, je sus ce qui allait se passer. Il balança son poing dans la figure de Luke qui trébucha et tomba au sol. Cette fois, un petit cri m'échappa. Luke se releva comme un fou furieux, mais la présence de curieux qui s'approchaient calma ses ardeurs. Il ramassa son sac, et m'entraîna à sa suite. Son regard restait rivé droit devant lui, et il semblait vraiment furieux.

Derrière nous, alors que les murmures bruissaient sur notre passage, la voix puissance de Sébastian retentit.

- T'es qu'un lâche Morrigan ! Et t'en sera toujours un ! Tu ferais mieux de surveiller tes arrières !

Je frissonnai.

- Quel connard.

Je le regardai. Il avait le visage en sang, et les regards convergeaient toujours vers nous. Prenant, subitement une décision, j'agrippai son bras et l'entraînais dans un autre couloir. Il me suivit en marmonnant jusqu'aux toilettes des filles du bâtiment B.

- Elles sont hors d'usage. Personne ne vient jamais ici. On sera tranquille.

C'était l'une des mes "planques". Un endroit peu connu du complexe scolaire, que personne ou peu de gens connaissait, et dans lesquels je m'isolais lorsque je ne pouvais plus supporter le poids des regards et le murmure assourdissant des rumeurs qui courraient sur moi. Je posai mon sac, et allai chercher du papier toilette que j'humidifiai au lavabo avant de m'approcher de Luke et d'éponger doucement son visage. Il grimaça de douleur.

- Désolée, soufflai-je.

Je continuai néanmoins de le débarbouiller, en prenant garde à ne pas lui faire mal.

- Laisse-moi regarder.

Je palpai délicatement son nez enflé.

- Je ne pense pas qu'il soit cassé, mais on devrait peut-être aller à l'infirmerie.

J'avisai brusquement que j'étais très proche de lui. Vraiment très proche. Je piquai un fard et m'éloignai vivement, gênée sans trop savoir pourquoi. Je préparai un autre morceau papier toilette pour qu'il éponge le sang qui coulait toujours de son nez.

- Pourquoi... Pourquoi t'as fait ça ? Tu vas t'attirer des ennuis avec Sébastian. Et avec l'équipe de foot.

J'avais vu rouge. C'était très rare. Je ne savais même pas ce qui m'avait pris. Résultat, mon nez pissait le sang. Mais je fonçais droit devant moi. Jeyne m'agrippa soudainement le bras et me tira dans une autre direction. Je marmonnais dans ma barbe le genre de mot qui m'auraient valu un bon sermon de ma mère. Je venais de me faire un ennemi. Je me retrouvais face à la porte des toilettes des filles.

- Elles sont hors d'usage. Personne ne vient jamais ici. On sera tranquille.
- Euh... Tu veux ouvrir la chambre des secrets ou quoi ?

Ok. Blague de merde. Mais j'avais mal au nez alors ça m'excusait. Ou pas. Jeyne posa son sac avant de récupérer du papier toilette qu'elle humidifia et vint m'éponger la figure. Je ne pus retenir une grimace quand elle effleura mon nez.

- Désolée

Elle continua quand même et je sentis mes oreilles chauffer. Personne ne m'avait... nettoyé... depuis euh... ah mouais. Ma mère.

- Laisse-moi regarder.

Elle palpa doucement la patate enflée qui me servait de nez. ça picotait. J'essayais de ne pas couiner stupidement.

- Je ne pense pas qu'il soit cassé, mais on devrait peut-être aller à l'infirmerie.

Elle se releva brusquement en piquant un fard. Super, j'étais plus la seule tomate. Elle alla préparer une nouvelle éponge toiletto-dégradable. Je pissais toujours le sang par le nez. Je me penchais légèrement en avant, histoire de pas bousiller plus mes fringues.

- Pourquoi... Pourquoi t'as fait ça ? Tu vas t'attirer des ennuis avec Sébastian. Et avec l'équipe de foot.
- 'B'en fout.

Oh super, j'avais la voix de Bozo le clown. De mieux en mieux.

- Parce que ba bère b'a toujours dit que la seule chose qui voulait dire quelque chose c'était de défendre ce qui était juste... J'avais juste oublié ça.

Maintenant, même mon nez allait s'en rappeler.

- Bah, au boins, ils découvriront bon existence...

J'eus un sourire penaud.

- Et puis... T'es une chic fille.

Je me mis à rire mais le rire se transforma en "ah ah a-aïe". Vachement pratique et super classe.

- Je crois que je viens de rappeler à la moitié du bahut mon existence.

Mon nez me lançait toujours mais il ne se prenait plus pour la version sanguinolente des chutes du Niagara. SI j'avais de la chance, j'éviterais le coquard. Mais pas les questions de ma mère et de mon frère. Voire même de ma soeur si elle s'y mettait aussi.

- Et vaut mieux  que Hastings s'en prenne à moi qu'à toi. Parce que Rantanplan a beau être con, il sait quand même mordre.

Bon, et si je fermais ma gueule plutôt que de raconter des conneries comme ça ?

Je demandai à Luke pourquoi il avait agit ainsi, s'attirant les foudres de Sébastian et certainement de toute l'équipe de foot puisque celle-ci était en grande partie composé des amis du quaterback.

- 'B'en fout.

Il parlait du nez, mais cela n'avait rien de bien surprenant étant donné qu'il ressemblait plus à une tomate écrasé qu'autre chose.

- Parce que ba bère b'a toujours dit que la seule chose qui voulait dire quelque chose c'était de défendre ce qui était juste... J'avais juste oublié ça.

Défendre ce qui est juste. L'expression sembla raisonner dans ma tête. Billy avait voulu me dire la même chose. Et c'était également le sens de ma promesse en quelque sorte. Ne plus me laisser faire. Pourtant, j'en étais toujours incapable, les autres étant forcés de me venir en aide. Je me sentais un peu... pitoyable de ne pas y arriver toute seule.

- Bah, au boins, ils découvriront bon existence... dit-il avec un sourire penaud. Et puis... T'es une chic fille.

Je me sentis rosir. Personne ne m'avait fait ce genre de compliment depuis longtemps. Et encore moins, un garçon. Il se mit à rire, mais cela se transforma bien vite en gémissement de douleur.

- Reste tranquille.
- Je crois que je viens de rappeler à la moitié du bahut mon existence.

Son nez cessa de saigner, mais il semblait quand même bien amoché. Il faudrait peut-être allé à l'infirmerie du lycée, même si ça impliquait de répondre à des questions gênantes.

- Et vaut mieux que Hastings s'en prenne à moi qu'à toi. Parce que Rantanplan a beau être con, il sait quand même mordre.

Je me mordis la lèvre, triturant inconsciemment la croûte rougeâtre de la blessure que m'avait infligé Sébastian quelques jours plus tôt.

- Je veux pas que tu ais d'ennuis à cause de moi. Tu... T'es quelqu'un de bien, Luke.

Je croisai son regard et sentis mes oreilles chauffer. Bon sang, Jeyne, reprends-toi. T'es en train de te ridiculiser en beauté, là.

- En tout cas... Merci. Même si c'était stupide et idiot de te jeter sur lui comme ça... Merci.

Je lui souris. Le miroir au dessus du lavabo attira mon regard. Quel reflet nous renvoyions, tous les deux. Moi avec mon œil au beurre noir et ma lèvre fendu, lui avec son nez enflé et rouge. On aurait presque dit que nous venions de nous battre, entre nous. Au moins, on était assortis.

- Quelle belle paire de bras cassés, on fait !

Je me tournai vers lui.

- Tu as beaucoup mal ? On devrait peut-être aller à l'infirmerie...

Je remerciais Luke d'avoir pris ma défense devant Sébastian, même si c'était complètement stupide comme réaction, vu qu'il s'était mis à dos le quaterback et sans doute tout le reste de l'équipe de foot aussi.

- Pourquoi tu crois qu'on m'appelle Rantanplan ? J'fais des feintes stupides et ça fonctionne.
- Rantanplan est peut-être stupide, mais il est honnête... et loyal.

Apercevant notre reflet dans le miroir, je fis remarquer que nous formions une jolie paire de bras cassés, tous les deux. Lui, avec son nez explosé, moi avec mon œil-de-panda.

- J'devrais me mettre à la boxe. ça me fait un nez de boxeur tu trouves pas ?

Je haussai les sourcils d'un air dubitatif. Puis je lui demandai s'il avait beaucoup mal. Nous devrions sans doute aller à l'infirmerie, même si cela incluait quelques question gênantes.

- Nah, ça va aller. J'ai déjà connu pire en sortant d'un match.

Je n'étais pas certaine d'être convaincu par son air assuré, mais ne fis aucun commentaire. Je n'avais pas très envie de me retrouver devant une conseillère d'éducation pour expliquer mes problèmes avec Sébastian. L'épisode au Commissariat avait été suffisamment éprouvant comme ça.

- Bon, on s'y met à notre devoir de littérature ? Juste, je passe aux casiers avant, histoire de pas donner l'impression de sortir du Fight Club.

Il me sourit.

- Avoue, le style bad boy, ça me va méga-bien !
- Carrément.

J'éclatai de rire.

- L'avantage, c'est que personne ne croira Sebastian s'il dit que c'est moi qui ait frappé le premier, étant donné que je suis... transparent.

Moi aussi, j'étais transparente. Aux yeux de la majorité des élèves. Les autres, comme Sébastian, avaient bien conscience de mon existence, même si j'aurais préféré que eux m'ignorent comme les autres m'ignoraient. Cela m'aurait bien simplifié la vie.

Après un court passage aux casiers, nous allâmes à la bibliothèque. La sonnerie ayant déjà annoncé la reprise des cours, les couloirs étaient vides et nous ne croisâmes personne. En revanche, une fois dans la bibliothèque, tous les regards convergèrent vers nous. Ou plutôt sur le nez enflé de Luke. La bibliothécaire - une vieille dame aigri comme le veut le cliché - nous toisa d'un air désapprobateur mais ne fit aucune remarque. Nous nous installâmes à une table de vide. Heureusement, les regards nous quittèrent bientôt, les élèves présents étant trop studieux pour s'intéresser à nous.

- Bon, tu as des idées ?

Pour lors, je n'y avais pas vraiment réfléchi.

- On pourrait commencer à regarder au rayon des AutoBio et voir si on trouve quelque chose d'inspirant.

On se mit au travail. Après avoir fureté dans le rayonnage adéquat, je posai une pile de livres sur notre table et commençai à les feuilleter. On échangea quelques idées, nota quelques pistes et le devoir commença à prendre forme.

L'heure d'étude que nous avions était quasiment terminée. Je m'étirai un peu les bras.

- On a pas mal avancé. Une petite pause avant le TP de sciences ? J'ai bien envie de faire un arrêt devant le distributeur de friandises.

Luke était d'accord pour faire un arrêt au distributeur de friandises avant d'aller en TP de sciences. Je rassemblais mes affaires puis aidait Luke à remettre en rayonnage les livres que nous avions empruntés. On sortis de la bibliothèque puis, direction le distributeur.

- Il me faut ma dose de soda ou je vais m'endormir debout.

Je souris.

- Moi, je carbure au Kinder Country. (LOL)

Après avoir fouillé au fond de mon sac pour trouver un peu de monnaie, je pris ma dose de chocolat. Puis on s'avança tranquillement vers la salle de sciences.

- ça te dit qu'on se mette en binôme là aussi ? Max a tendance à tout mélanger. Le dernier TP était totalement foiré... Et je dois avouer que je préfère bosser avec toi.

Je souris. Moi aussi j'aimais bien travailler avec lui.

- Oui, d'accord. D'ordinaire, je me retrouve avec Thomas, qui me laisse faire les trois quarts du travail pendant qu'il pianote discrétos sur son téléphone.

Il était devenu un véritable pro dans l'art d'utiliser son portable sans se faire remarquer par le prof. Il n'était pas de ceux qui me haïssait à cause de mon statut de mutante, mais il m'ignorait royalement, profitant juste de ma présence pour que je fasse le travail en TP. J'avais bien essayé de protester au début de l'année, mais sans grand succès. Et comme je ne voulais pas me taper une sale note parce que seulement la moitié du boulot était faite... Et bah, je faisais tout toute seule ou presque.

- On forme un duo de choc !

J'acquiesçai. Luke faisait sa part du boulot, il était gentil et il ne me crachait pas dessus parce que j'étais une mutante. Plus qu'un binôme d'étude, c'était un ami que je venais de me trouver.

- Et comment ! On va se taper une super note, en litté, j'en suis sûre !

On s'installa. Et un sourire m'échappa lorsque Thomas réalisa qu'il ferait le TP avec Max et non avec moi. La tête qu'il faisait ! Le prof arriva et commença à distribuer le sujet du jour. Au programme, dissection. Charmant...

- On aurait peut-être pas du s'arrêter au distributeur...

J'échangeais un regard entendu avec Luke et me retins de pouffer. Les dissections n'étaient pas mon passe-temps favori, mais je n'avais pas peur de mettre la main à la pâte. Contrairement à deux filles du premier rang qui poussèrent un cri très... effarouché car le professeur déposa une grenouille morte sur la table.

- Promis, je ne te gerberais pas dessus. Et je ne m'évanouirais pas.
- Voilà qui me rassure.

Je croisai son regard et pouffai. Je n'avais pas ressenti une telle complicité avec quelqu'un depuis longtemps. L'asociale qui sort de son trou, bonjour !

Lorsque les filles du premier rang laissèrent échapper un cri dégouté à la vu des cadavres de souris et de grenouilles que le prof distribuait, il nous fut encore plus difficile de retenir notre hilarité. Mais il fallut tout de même retrouver notre sérieux et commencer à bosser. L'odeur était le plus difficile dans ce TP.

- Question existentielle : pourquoi des souris et des grenouilles ?
- Je ne me suis jamais posé la question...

Je réfléchis un seconde.

- Mais j'imagine qu'il ne serait pas politiquement correct qu'on nous fasse disséquer... je ne sais pas, un chat ou un truc comme ça...

Je fis la grimace.

- Oh merde... Tu crois qu'on vient de disséquer le prince charmant ? On vient p't-être de condamner Blanche-Neige...

Je réprimai difficilement un rire.

- Imagine. Blanche-Neige condamnée. Aurore transformée en légume. Et Cendrillon condamnée à rester une souillon. On vient peut-être de détruire tous les contes de fées... pour un TP de bio !

Le prof passa entre les rangs, et on se pencha un peu plus sur nos fiches de TP, élèves consciencieux que nous étions. Lorsqu'il se fut un peu éloignée, je glissai à Luke :

- Le prince est censé se transformer pour un baiser, non ? On devrait peut-être demander à Jessy d'essayer...