Daytona Beach, c’est toute ma vie. J’y suis né, dans un hôpital « populaire », pas une clinique huppée pour gosses de riches. J’ai grandi dans une maison d’un quartier modeste. Jusqu’à mes huit ans, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes… ou presque. Et puis mes parents ont décidé de divorcer, surtout parce que mon père trouvait que élever un gamin c’était beaucoup de travail, alors deux de plus… c’était un peu trop demander. Pourtant, les jumeaux n’étaient pas les plus difficiles du monde. C’était peut-être, dans le fond, la meilleure chose à faire, même si je ne pouvais pas le comprendre à l’époque. Il valait mieux qu’ils se séparent plutôt que de se crier dessus sans arrêt. Pourtant, nous avons continué, Ashley, James et moi,  de faire le bonheur et la fierté de ma mère, chaque jour que Dieu faisait. Forcément, j’ai déjà dû changer des couches et je crois que ça m’a bien vacciné contre l’envie d’avoir des gosses. Mais autant éviter les souvenirs embarrassants… Papa nous envoyait en général deux cartes par an. Une à Noël et une le jour de nos anniversaires. Il oubliait assez souvent de payer la pension alimentaire et évitait de nous prendre pour les vacances. Du coup, maman prit assez vite un second boulot, histoire de joindre les deux bouts. Et moi, j’étais sensé être l’homme de la maison.

Bizarrement, même si ça n’a pas l’air glorieux dit comme ça, je n’échangerais ma vie pour rien au monde. C’est vrai, ma petite sœur est pénible, mon frère traine toujours dans mes jambes, le quartier n’est pas toujours top, j’ai pas la dernière console de jeux vidéo… mais c’est plus que d’autres. A la maison, j’essaye toujours d’en faire un maximum, pour soulager ma mère. Les courses, la cuisine… On se partage les tâches avec Ashley et James, heureusement. Côté scolarité, je suis l’élève passe-partout, des résultats normaux qui seraient meilleurs avec un peu d’efforts, quelques heures de colle pour des broutilles. Quelques problèmes d’attention aussi. Pas trop mauvais en sport, même si je réchauffe plus souvent le banc des remplaçants que ce que je cours sur le terrain. Il faut dire que je suis le kicker remplaçant dans l’équipe de foot. Ce qui me donne droit d’arborer le ballon ovale sur mon blouson du lycée, certes, mais je n’ai pas vraiment eu l’occasion de montrer mon talent au monde entier. Faut dire que je ne suis pas vraiment un colosse, donc les gens ont un peu de mal à me voir comme un sportif.

Je suis donc sensé pouvoir jouir de mon statut de sportif… mais ça c’est juste dans les séries télés. Il faut dire que même si je sais assez bien faire le clown… Je ne suis pas du genre à aimer être sous le feu des projecteurs. Non, du tout. En fait, je préfère laisser ça aux autres. Si bien que la plupart de mes camarades de classe connaissent mon nom, mais pas grand-chose sur moi. Je suis juste le mec bizarre et discret dans le fond de la salle. D’ailleurs, une fois, je m’étais endormi en cours de sciences… Je me suis retrouvé enfermé dans la salle pendant la pause déjeuner parce que même le prof m’avait oublié. Incroyable, mais vrai. Je vous dis pas la tête qu’il tirait en revenant une heure plus tard lorsqu’il a ouvert sa salle et qu’il m’a vu… En fait, vous m’avez probablement déjà croisé plusieurs fois, sans vous en rendre compte. Un peu comme si j’étais invisible. Sauf que je suis banal. Un adolescent comme des centaines d’autres.

J’avais neuf ans quand il y a eu la conférence sur le Projet Chimère. Autant dire que j’ai pas compris grand-chose à l’époque. Jusque qu’il y avait parmi nous des gens dotés de supers pouvoirs, le reste était comme superflu, surtout pour le gamin que j’étais. J’ai tout de suite trouvé ça cool. Et sans doute comme tous les gosses à l’époque j’ai essayé de me trouver un don de super-héros. Genre Spiderman, un des quatre fantastiques, un X-men ou même Hulk – parce que Iron Man, Batman ou Superman, c’était sûr que c’était mort : je n’étais ni riche, ni un génie, ni orphelin et encore moins un alien. Mais ça n’a pas marché. Je n’ai réussi qu’à récolter des bosses, coupures, contusions et autres égratignures en tout genre. Au bout d’un moment j’ai décidé d’arrêter, convaincu que je ne serais jamais qu’un type normal, même si je ne perds pas espoir d’être un super-héros un jour. Dans mes rêves les plus fous, bien sûr. Depuis, je m’intéresse toujours au « phénomène », mais d’assez loin. Je préfère ne pas m’attirer d’ennuis avec les anti-mutants. Je sais que quelques-uns au lycée ont un pouvoir, mais je n’ose pas vraiment les aborder. Pour leur dire quoi ? « Hey, j’ai pas de supers pouvoirs, mais je trouve ça génial, ça te dit qu’on soit pote ? » Wouhou, comment passer pour un type taré !

Ce que je compte faire après le lycée ? J’en ai aucune idée. Je pense tenter ma chance à l’université, mais pour l’instant ce n’est pas gagné. Je ne peux pas vraiment compter sur le football pour décrocher une bourse. Côté notes, c’était raté pour une bourse d’excellence, alors… A moins d’un miracle, je ne risque pas de rester beaucoup plus longtemps sur les bancs de l’école. Le problème, c’est que je n’ai aucune idée de ce que je pourrais bien faire. Je m’intéresse à un certain nombre de choses, sans avoir de « coup de cœur » particulier. En fait, mon avenir, c’est juste un point d’interrogation géant au-dessus de ma tête. J’ai encore un peu de temps pour y réfléchir, mais mon plus gros problème c’est que je fais passer mes cadets avant moi. James est une graine de champion et Ashley est brillante. Je préfère qu’ils aient toutes leurs chances de réussir, même si ça doit me coûter mon entrée à la fac. Après tout… les cadets sont faits pour pallier les défauts des ainés, non ?

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