Ma mère venait tout juste de partir travailler et le soulagement avait été immense. J’avais passé une bonne heure dans mon lit, prostrée, sans vraiment trouver la force pour lui faire face. Dès que j’avais entendu la porte je m’étais levée, étirée sentant la joie de vivre s’autoriser à entrer dans ma tête de nouveau. Je m’étais lavée tranquillement, j’avais avalé quelque chose avant de m’installer à mon bureau pour me consacrer au cours de psychopathologie générale.

Je m’étais complètement absorbée par la description de la psychopathologie Border-Line quand soudain la sonnerie de l’interphone retentit.

Je sursautais complètement paniquée.

Personne, absolument personne ne venait jamais sonner chez nous. Les scénarios les plus divers défilèrent dans mon esprit. Et si c’était mon père venu s’excuser, ou s’en prendre à ma mère ou à moi encore une fois ? Et si c’était mon frère venu dire qu’il regrettait ou me cracher sa haine au visage ? Et si c’était McKnigkt pour je ne savais quelle raison ?

J’essayais de respirer à fond et de me raisonner. Aussi bien Elena ou Jeyne avait trouvé mon adresse et l’une ou l’autre était juste venue dire bonjour. Ou bien c’était l’homme qui venait relever les compteurs de gaz et d’électricité.

Je n’avais pas le choix, il fallait ouvrir. J’hésitais devant le combiné qui sonnait toujours avant qu’une idée de me traverse l’esprit. J’étais une mutante, une mutante qui pouvait sentir les émotions d’autrui. Si je descendais en bas de l’immeuble et que j’ouvrais la porte moi-même, je pourrais immédiatement savoir quelles étaient les intensions de mon visiteur.

Je jetais un œil par la fenêtre. C’était un jeune homme qui faisait les cents pas devant la porte. Je ne l’avais jamais vu. Je n’avais strictement aucune idée de ce qu’il venait faire là. J’hésitais encore avant de descendre.

Et puis il me vint à l’esprit que peut-être pour une raison ou pour une autre il avait besoin d’aide.

Brusquement je franchis la porte et me mis à dévaler les escaliers. Ma petite robe fine battait contre mes jambes mais je n’y pensais pas. Je me concentrais uniquement sur sentir ce qui se passait de l’autre côté de la porte.

Ce jeune homme était à peu près aussi à l’aise que moi. Une sensation de ridicule d’une force étonnant nous fit un moment brûler tous les deux. En tout cas il n’était pas hostile alors je devais savoir ce qu’il me voulait. Puis la déception se mit à prendre le pas peu à peu.

Il allait partir.

Je descendis la dernière marche le plus vite possible manquante de tomber et me ruais vers la porte.

J’ouvris essoufflée, les joues rosies par la course. Je sentais le malaise croître en lui autant qu’en moi si bien que je ne savais plus démêler ses émotions des miennes. J’essayais un sourire maladroit, sans trop savoir quoi dire ou faire.

-Bonjour ! commença-t-il, et son ton joyeux contrasta avec son état interne d’une façon tout à fait singulière.

Je restais sans voix, incapable de mettre de l’ordre dans le chaos de mon esprit.

- On a un point commun. Je crois. Lennox c'est mon prénom. C'est bizarre, je sais. Lenny ça passe aussi.

Un point commun. Notre même sujet de peur et de honte. Il était un mutant aussi. Je mis un moment à pouvoir lui répondre. Si nous étions l’un comme l’autre maladroits dans les rapports humains, il composait avec sa gêne mieux que moi avec la mienne.

La rue était pleine de monde et les regards se tournaient vers nous, alors je me cachais presque à l’intérieur.

-Venez, entrez, nous allons parler de tout cela en haut…

Plus pour fuir son regard qu’autre chose je me mis à monter l’escalier. Besoin d’aide plutôt, c’était plutôt quelqu’un qui cherchait quelque chose mais je n’avais aucune idée de quoi.

Je finis par bredouiller une fois parvenue à l’étage.

-Comment m’avez vous trouvée ?

La porte de l’appartement était restée ouverte et une fois à l’intérieur avec ce regard nouveau, je constatais combien notre chez nous ressemblait toujours à un magasin de meuble de luxe tellement tout y étais en ordre et rangé. Une fois dans le salon, on peinait à croire que quelqu’un vivait réellement ici, on s’attendait presque à voir les prix sur le canapé de cuir, le grand écran plat, la table basse en vers, les œuvres d’art, et la lampe design aux allures futuristes.

Moi et l’inconnu étions monté dans notre appartement. Sans mon don au fond jamais je n’aurais pu faire une telle chose. Mais je sentais avec certitude qu’il n’était pas hostile, plutôt mal à l’aise. Au moins autant que moi sinon plus car dans notre gêne mutuelle je ne savais démêler ce qui m’appartenait de ce qui lui revenait à lui.

Il savait que j’étais une mutante, et l’idée m’aurait fait peur si je n’avais pas pu sentir son esprit. Sans compter qu’il était comme moi. Un mutant. Par delà le malaise je sentais la curiosité. J’étais décidée à lui dire tout ce que je savais. Après tout peut-être bien que cela pourrait lui être utile. Je voulais rendre service à mon tour, car depuis que j’avais découvert ma mutation, j’avais passé mon temps à être assistée par d’autres.

Un peu inquiète malgré tout de savoir si on pouvait savoir ce que j’étais je lui demandais comment il m’avait trouvée...Je me disais que très probablement McKnight s’était souvenu de mon désir d’aider mon prochain… mais la réponse me glaça.

-Internet.

Je restais sans voix en refermant la porte derrière nous, non sans un regard paranoïaque pour le couloir. Alors tout le monde pouvait le savoir ? Alors-même que je n’avais rien écrit sur le net  à ce sujet…

- Les gens pensent utiliser internet en toute sécurité. Mais il y a toujours un moyen de trouver les données.

A nouveau restais glacée alors que le malaise croissait encore en lui. Internet… Plus jamais je ne regarderais mon ordinateur de la même façon. Je voulais demander si tout le monde pouvait savoir cela de moi, mais il poursuivit.

-Je dérange pas au moins ?

Je ne compris pas pourquoi notre télé semblant l’inquiéter à ce point, provoquant une sorte de mouvement dans son esprit. Il s’en éloigna rapidement. Peu importait, il me fallait me concentrer sur ce qu’il me disait et ne pas me laisser envelopper sans quoi la communication risquait d’être difficile. Je fis un gros effort pour me calmer et répondis en bafouillant, sentant la gêne me gagner de nouveau :

-Euh…Non, non pas du tout…

Après ça, il entra dans le vif du sujet.

- Je fais des recherches sur le Projet Chimère. Je sais pas quoi en penser. Je cherche la Vérité.

Je sentis que ce dernier mot prenait une résonance particulière dans son esprit. Une sorte d’exigence vitale, une question de vie ou de mort et je résolus encore une fois de dire le plus précisément possible tout ce que je savais. Sans comprendre, je sentais que c’était fondamentalement important pour lui. S’il avait fait tout ce chemin, c’était uniquement pour cela, semblait-il.

J’hésitais sur quoi dire en premier mais il poursuivit alors qu’à nouveau la gêne brulante et la colère contre soi prenait le pas.

- Je sais que ça parait bizarre et même flippant... Même moi je trouve ça bizarre et flippant, en fait... Et ... Oh, non j'aurais pas dû venir. C'était une idée stupide. Comme la plupart de mes idées. Je devrais éviter de faire ce genre de truc...

La brûlure devenait difficile à supporter pour lui comme pour moi, alors je pris sur moi pour ouvrir la bouche et m’exprimer.

-Non, non, c’est... pas grave… Je sais que vous ne me voulez pas de mal.

Je pris une grande inspiration.

-J’ai bien compris ce que vous attendez de moi… alors si vous voulez bien, on va s’asseoir ensemble et je vais vous dire tout ce que je peux... d’accord ?

Je lui avais désigné notre imposant canapé. Et brusquement toute mon éducation refit surface d’un seul coup, sans que je comprenne pourquoi. Si ma mère m’avait vue recevoir quelqu’un avec aussi peu de bienséance elle m’aurait littéralement pilonnée sur place.

-Euh… d’ailleurs vous voulez peut-être quelque chose à boire ? J’ai des cookies si vous avez faim…

HJ: comme je suis pas empathe dans la vraie vie.. surtout par écran interposé, dis moi si j'interprète des choses de travers concernant les ressentis de ton personnage...

J’avais expliqué le plus clairement possible que j’avais bien compris ce qu’il attendait de moi. Je voulais que sa gêne et la mienne cessent de nous mettre sur les charbons ardents. Je détestais ce genre de moment ou je me sentais particulièrement ridicule. J’en avais même oublié les bonnes manières. Puis elles m’étaient revenus brusquement et je lui avait proposé quelque chose à boire et de cookies.

- Oui. Euh... Pourquoi pas. De l'eau ça ira, m’avait-il répondu.

Il consentit à s’asseoir sur le canapé alors qu’une émotion fort désagréable l’envahissait, mais je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus.  J’allais profiter de la bonne excuse que j’avais pour m’éclipser à la cuisine et souffler une minute quand il ajouta :

- Vous savez, ce que j'ai trouvé sur Internet... Il fallait vraiment chercher les relations entre tout. C'était un travail minutieux... Je... Je ne suis pas un voyeur. J'espère que vous ne m'en voulez pas.

J’esquissais un petit sourire en me dandinant un peu. J’étais soulagée d’apprendre ça mais toute cette gêne, cette maladresse cette instabilité de son esprit me donnait l’impression qu’on me chatouillait avec insistance. Je me sentais face à un lac qui frémissait où à une casserole d’eau bouillante. Son esprit était dans une espèce de mouvement constant, de déséquilibre. Je demandais où diable il pouvait trouver le repos avec toute cette agitation et la réponse me semblait être nulle part. A mesure que je me laissais envahir, je pouvais en même temps retrouver un semblant d’unité moi-même, et compatir un peu.

-Je sais que vous n’êtes pas un voyeur, assurais-je mais ma voix était un peu tremblante. Dans le cas contraire je ne vous aurais pas laissé entrer chez moi. Et non…je ne vous en veux pas.

Je me rendais compte que plus je disais ce genre de choses, et plus je le mettais sur la voie de mon don. Il allait falloir que j’en parle à un moment ou un autre et l’idée m’effrayait déjà par avance. A cause de sa fébrilité, je n’avais aucune idée de la manière dont il allait prendre ça.  Je revins avec sur un plateau un verre d’eau, une assiette de cookie et un sirop pour moi.

- Merci. C’est gentil.

Il prit un cookie, mais hésita avec l’air de se demander s’il allait pouvoir rentrer dans son estomac. Patiemment, j’attendis qu’il se mette à parler, parce que moi-même je n’osais pas vraiment dire quoique ce fut.

- Je crois qu'on ne nous dit pas tout sur le Projet Chimère. Seulement, je ne sais pas trop où chercher mes réponses. C'est bizarre, un sénateur, un ex-militaires des commandos de la Navy, ça fait pas tellement bon samaritain...

Je tiquais… Pauvre McKnight. Il avait construit ce projet avec les meilleurs intentions du monde j’étais la mieux placée pour le savoir. J’avais son inquiétude et sa sollicitude à mon sujet et je savais qu’il était le genre d’homme à éprouver toutes ces choses pour toutes les personnes perdues ou en difficulté. Malgré tout, tout le monde continuait de chercher de mauvaises intentions derrière ses agissements... comme s’il était impossible que quelqu’un puisse vraiment vouloir le bien d’autrui, juste comme ça, sans arrière pensée. Pourquoi les gens étaient si pessimistes les uns vis à vis des autres ? Pourquoi je devais être la seule à savoir qu’il existait en chacun d’eux des trésors d’amour et de compassion qui restaient cachés et secrets ? Comme j’étais perdue dans mes pensées il poursuivit.

- Vous avez rencontré le Commandant McKnight, non ? Qu'est-ce que vous pensez de tout ça ?

Je reviens sur terre une minute, je bus une gorgée de mon sirop histoire de me donner du courage. C’était le moment de me jeter à l’eau à mon tour.

-Oui je l’ai rencontré en effet…

J’eus encore un moment d’hésitation.

-Ce que vous devez savoir sur moi… c’est que je suis une empathe.

Je lui laissais le temps d’assimiler la chose.

-Tout ce que vous avez besoin de savoir, c’est que McKnight se soucie réellement des gens qu’il reçoit à son Academy et qu’il cherche vraiment à faire quelque chose positif de tout ça. Je l’ai sentit très nettement.

Je venais d’expliquer à Lennox que j’étais une empathe. Je fus très étonné de sa réaction. Je ne sentis pas les défenses se lever, ni la méfiance, ni la crainte de ce que pourrais voir en lui comme j’en avais pris l’habitude maintenant. Au lieu de cela, tout ce que je sentis fut la compassion, doublée d’une légère honte. C’était proprement stupéfiant. J’avais l’impression que je devais être plainte pour avoir à vivre ce que lui vivais. Mais il oubliait de se plaindre lui-même de ce qu’il vivait. A travers moi seulement, il prenait conscience que son esprit était un vrai bazar. Je me sentais mal à l’aise, instable, ne sachant pas sur quel pied danser comme lui. Mais c’était quelque chose que je pouvais tolérer parce qu’il avait aussi quelque chose de doux.

Une fois remise de ma surprise je lui expliquais que non vraiment, pour de vrai, les intensions de McKnight étaient nobles.

- Et au dessus ? L'idée est bien sortie de quelque part. Je veux dire... Un projet comme ça, sans intentions derrières, ce serait un miracle et une première.

Je lâchais un profond soupire et il poursuivit.

- Dans le fond, on nous tend juste un gros joli bonbon bien appétissant... Mes parents mettaient toujours les médocs du chien dans des gâteaux et il se faisait toujours avoir.

J’essayais de sourire.

-Moi, j’ai tendance à penser que les miracles de ce genre existent. On me l’a prouvé beaucoup de fois depuis que je me suis rendue compte de ma mutation.

J’eu soudain envie de tout raconter. Que quand j’ai su que j’étais une mutante j’avais tout perdu, mais qu’après ça j’avais pu tomber sur des gens vraiment désintéressés, avec un vrai souci de l’autre. Elena, Billy, McKnight, et même Grégory, cet anti-mutant qui s’était bien comporté avec moi. Tous avait agit dans mon intérêt.  Mais je n’avais pas envie de me faire plaindre non plus alors il conclut simplement.

-Je n'ai pas suffisamment de données pour émettre une hypothèse et tenter de la vérifier.

Après tout, c’était son droit. Quand on était aussi à cheval sur la vérité que lui, mieux vallait sans doute prendre son temps. Etonnament il changea de sujet. La compassion qu’il sentait à mon endroit devait faire son chemin.

- Ce n'est pas trop dur, d'être un empathe ? Enfin, une.

Je lui fis une sorte de sourire, mais je me doutais que cela ne devait pas être très crédible. Le visage défait de ma mère me revint en mémoire, ce jour où elle était venue me chercher. Voilà ce que ça avait couté. Mais à présent, les choses allaient mieux n’est ce pas ?

-Euh... on va dire que j’ai grandit dans une famille... ou tout le monde était plus ou moins triste…  Donc… dans un sens… c’est plus facile depuis que je sais ce qui m’arrive, que je comprends pourquoi je ressens ce que je ressens. Avant ça… moi, ma famille, tout le monde pensait que j’étais malade. Après c’est compliqué... surtout quand je me retrouve dans une foule. Mais je m’en sors de mieux en mieux.

Nouveau changement de sujet. J’espérais ne pas l’avoir mis trop mal à l’aise.

-Les cookies sont bons.

Décidément il était surprenant. Je lui fis un sourire maladroit en en attaquant un. J’étais plutôt fière de moi. Je me demandais ce qu’Elena aurait pensé de mes talents de pâtissière. J’oubliais presque de dire.

-Merci.

- Vous en avez pensé quoi, quand vous avez été à l'Academy ? reprit-il encore.

Je fus prise de cours par la question.

-Euh… le lieu ressemble à une grande école en fait. Une sorte d’université. C’est un endroit très beau… Encore une fois. McKnight cherche vraiment à améliorer les choses pour tout le monde. Je sais aussi qu’il n’est pas homme à se laisser dicter sa conduite.

Et à ma propre surprise j’ajoutais.

-Surtout depuis que…

Et je ne pouvais pas finir cette phrase. Tout s’achevait dans le blanc le plus total, le dégoût, l’horreur, l’impensable. C’était le souvenir le plus marquant que j’avais de lui. Cette nausée, ce vertige, cette plongée dans un vide qui brûle et fait suffoquer.

Je chassais le souvenir en essayant de sourire. Je n’avais pas idée que j’avais toujours une trace ni nette de cela, dans mon esprit. Après tout, le lien que je faisais avec son engagement auprès des mutants était peut-être faux. Il n’était pas question de parler de ça… de quelque chose d’aussi intime.

J’expliquais à Lennox que McKnight n’était pas homme à se laisser dicter sa loi. Et puis je m’étais souvenu de ce blanc, ce trou horrible et sans fond dans son esprit. J’avais commencer une phrase sans la finir et évidemment cela n’était pas passé inaperçu.

-Depuis ?

Je revins à moi brusquement, surprise par la force du souvenir. Je ne pouvais pas parler de cela c’était trop intime.  J’hésitais sur quoi dire mais il me sauva lui-même la mise.

- Vous n'êtes pas obligée de me répondre là-dessus. J'imagine que ce n'est pas forcément quelque chose qui a été dit.

Je lui souris heureuse qu’il soit si compréhensif. Je me rassis comme il faut sur le canapé, chassant les restes de cet écrasement de mon esprit qu’avait laissé le souvenir de McKnight en moi.

-Non ça n’a pas été dit… Et quand-bien même je voudrais en parler je ne pourrais pas vraiment étant donné que je n’ai aucune idée de ce don il s’agit.

C’était un demi mensonge, je me doutais avec le contexte qu’il s’agissait d’un traumatisme de guerre. Mais j’avais la sensation que révéler une faiblesse de McKnight pourrait pousser des gens à s’en servir contre lui.

Au final il termina son cookie, changeant complètement de sujet.

-Désolé pour le... désordre dans ma façon de m'exprimer. Il m'arrive parfois d'oublier le fil de la conversation. Du coup, je parais pas très cohérent.

Je sentais la gêne me brûler de nouveau mais c’était la sienne. Je m’imaginais je ne sus pas trop pourquoi que ce jeune homme n’était pas très coutumier du contact avec les autres. Le plus souvent les gens ne s’exprimaient pas aussi clairement finalement, sur leur propre façon de s’exprimer.  J’eus une sorte de petite rire un peu nerveux, contaminée toujours sans doute.

-Ce n’est pas grave… au final on s’y retrouvera bien.

Je souris encore pour montrer que j’étais sincère… S’il semblait douloureux et honteux pour lui, ce désordre m’amusait, il raisonnait agréablement avec son esprit. J’avais rarement l’occasion de me trouver face à des gens aussi cohérents avec eux-mêmes entre leur façade externe et leur vie intérieure. Lui pour le coup il s’était, même si cela devait passer par l’incohérence, qui collait au plus pris de la labilité de ses pensées, sans doute.

- Vous habitez vraiment ici ?

Je fus un peu désarçonnée par cette question avant de me souvenir que notre appartement ressemblait à un magasin de meubles. Mais avant que je puisse répondre il ajouta :

- Désolé, j'ai recommencé, c'est ça ?

Je ris un peu plus franchement cette fois avant de répondre.

-On dirait bien oui…

Il poursuivit.

- C'est juste que j'ai du mal à imaginer quelqu'un vivre ici... Sans vouloir vous vexer.

Je pouvais le comprendre. Nous habitions ici sans doute avec ma mère, mais nous n’y vivons pas. Elle n’y vivait pas en tout cas et elle se débrouillait pour me faire comprendre d’un regard que je ne devais pas laisser sous ses yeux de traces de ma vie à moi.

-Pour vous répondre, oui, je vis vraiment ici. Mais vous en doutez à cause de ma mère et de son sens du rangement et de la propreté… Pour faire le lien avec votre manière de vous exprimer, je pense qu’un peu de désordre ne me fait pas de mal du coup…

Il passa sa main dans ses cheveux assez nerveusement avant de changer de sujet à nouveau.

- Mes parents ne sont pas au courant pour mon pouvoir... Ils doivent s'en douter. Mais je ne leur en ai jamais parlé. Mon frère sait. Ce n'est pas tout à fait pareil...

Je réalisais brusquement que je ne l’avais pas questionné sur le sujet. En même temps, je n’osais sans doute pas. Je me souvenais de comme je m’étais sentie coupable quand j’avais prononcé le mot « mutant » devant Chad.  Mais j’étais plutôt contente qu’il en parle de lui-même. Je n’allais pas répondre en racontant comme les choses s’étaient passées pour moi alors je le laissais poursuivre.

- Je suis une espèce de pile électrique humaine.

A nouveau j’étais désarçonnée.

-Euh... c’est à dire ? Vous maîtrisez l’électricité ?

J’eus une pensée pour ma mère au travail, et pour la manière dont elle m’aurait littéralement tuée si elle savait que j’avais autorisé un mutant, à pénétrer notre « maison ». Un homme de surcroit. Que je ne connaissais pas.

-En tout cas faites attention. Si ma mère apprends que vous êtes venu ici, je vais avoir de gros ennuis.

Il venait de m’expliquer la nature de son don… Enfin si tant est que « Je suis une pile électrique humaine » puisse être considéré comme une explication. J’avais donc évidemment demander quelques précisions.

-Dans mes bons jours, je peux recharger la batterie d'un ordinateur. Dans les mauvais... Ben j'ai plus de chance de le faire cramer. J'appellerais pas ça maîtriser.

Je comprenais mieux pourquoi il venait me questionner à propos de l’Academy. En réalité, peut-être cherchait-il à trouver le courage de s’y rendre, d’oser croire qu’il pourrait trouver quelqu’un pour l’aider et le soutenir. En même temps je comprenais qu’il ait peur. L’électricité était aussi une ressource, quelque chose qui se vendait. Je savais pour avoir grandit avec un père travaillant dans la finance qu’on ne recule devant rien quand il s’agit de richesse.

Je le mettais ensuite en garde contre ma mère. Si quelque chose se cassait et qu’elle en comprenait la raison j’allais avoir de sérieux ennuis.

-Oh... Je n'y avais pas pensé... Je peux partir si vous préférez. Je ne veux surtout pas vous attirer d'ennuis. Vraiment.

J’avais très vite regretté les mots que j’avais prononcé pour le mettre en garde puisqu’à nouveau la gêne se faisait cuisante. Je m’empressais de le rassurer.

-Non, non, elle rentre tard en général on est tranquilles jusqu’à ce que la nuit tombe. C’est juste, il ne faudrait pas que votre don vous échappe… Mais dans le pire des cas… Je trouverais une excuse.

La gêne tomba un peu et je me sentis soulagée.

-J’suis prudent, dit-il encore.

Je hochais la tête pour montrer que je lui faisais confiance. Comme je commençais à en prendre l’habitude il changea de sujet encore une fois.

-Votre don fonctionne comment, si c'est pas indiscret ? Je sais que tous ne suivent pas le même schéma. Ils évoluent avec le temps et l'utilisation... Enfin, moi, je sais qu'il faut que je touche les trucs. Généralement. Sauf quand je me met en colère. Là je peux faire sauter les plombs de la maison dans laquelle je suis...

Indiscret, ça l’était un peu…Je baissais les yeux, et je décidais d’omettre au moins le pire.

-Au départ comme je vous disais…tout le monde pensait que j’étais malade… dépressive d’abord puis folle. Le jour ou j’ai pris conscience de ce que j’étais, tout s’est amplifié brusquement. Comme mes parents sont des anti-mutants, je me suis enfuie de chez moi. Une fois dehors, j’ai eu l’impression d’exploser littéralement. Depuis je reprends le contrôle peu à peu… le contact amplifie les choses, j’ai l’impression de me fondre à l’intérieur de l’autre… c’est assez indescriptible en réalité. Après… McKinght m’a dit que je pourrais peut-être influencer les émotions des autres un jour. Mais pour le moment c’est moi qui suis influencée.

Je me remis à sourire en espérant qu’il comprendrait que je ne souhaitais pas vraiment m’attarder sur le sujet. En tout cas, je peinais à imaginer cet esprit si instable en colère. Vraiment, je peinais.

- Je ne suis pas la seule à devoir maîtriser mes émotions alors dans le fond… Cela dit... ça ne doit pas être facile à vivre non plus. En fait… je comprends mieux pourquoi vous avez peur de l’Academy…

Lennox m’avait parlé de son don… Je comprenais mieux pourquoi il craignait de s’approcher de l’Academy. Ce qu’il pouvait faire pouvait être dangereux, ou alors on pouvait chercher à en tirer profit. Je lui dis alors que je comprenais mieux pourquoi il avait peur de l’Academy.

-Je n’ai pas peur, répondit-il

Et sur l’instant j’avais un peu l’impression qu’il disait la vérité car une espèce de calme s’était enfin fait dans son esprit. Après tout ce moment j’étais déconcertée. Peur ce n’était pas le mot pour décrire ce qui se passait à présent. J’aurais plus dit, douleur ou quelque chose comme ça. C’était à éviter cela que servait tout ce mouvement, sans doute.

- Je... Je n'aime pas quand il y a trop de monde. Déjà juste avec de simples "humains". Alors... Un endroit bourré de gens comme nous...

L’espace d’une seconde je me sentis presque blessée. Je faisais aussi parti des gens comme nous moi aussi. J’étais une mutante. Et puis je me souvenais que lui aussi en faisait parti. C’était la définition du « nous ».  La colère fut remplacée dans la pitié alors que je sentais toujours cette souffrance sourde qui grimpait lentement. Je redoutais un peu la suite de son discours.

- Je ne comprends pas pourquoi. Pourquoi nous et pas d'autres ? Pourquoi ces "pouvoirs"-là et pas autre chose ? Pourquoi les gens nous détestent sans nous connaître ?

Cette douleur là nous la partagions, je regardais un moment nos esprits se communiquer leur désespoir en serrant un peu les dents.

-Je n’en sais rien… Je n’en sais rien du tout… j’imagine que les gens ont peur… ils ont peur qu’on leur veuille du mal… Je crois… je crois qu’en fait ils ont l’impression qu’on a choisi d’être comme ça... que c’est de notre faute… mais ils se trompent…

Brusquement je sentis qu’il était tourné vers moi de nouveau. Etant donné notre état commun je redoutais sa prochaine phrase encore d’avantage.

- Attendez... Vous avez dit que vos parents étaient anti-mutants... Mais vous vivez quand même avec votre mère ?

Je sentis la tristesse tomber sur moi très lourdement et je baissais les yeux. Je ne pouvais pas parler de son visage défait quand elle était venue me chercher. Je ne pouvais pas dire que mon propre frère avait si peur de moi que je ne pouvais supporter de rester en sa présence. Que j’avais déchiré ma famille parce qu’on père était persuadé que ma mère l’avait trompé à cause de ma mutation ? Qu’elle était restée là, assise sur le canapé, dans sa tenue d’apparat, pendant des jours avant d’enfin pouvoir reprendre le travail. Le tout sans m’adresser une seule parole, depuis qu’elle savait ? Le dire à voix haute c’était déplacé presque. C’était m’exposer au risque qu’il se mettre à rire parce qu’il ne me croyait pas. Moi-même je n’y croyais pas. Je trouvais que ça n’était pas crédible.

J’essayais de me battre contre les larmes mais heureusement il ajouta.

-... Laissez tomber, ça ne me concerne pas...

Je fus vraiment soulagée qu’il n’insiste pas. Il baissa les yeux à son tour et je sentis la douleur monter alors je compris qu’il allait me confier quelque chose.

- J'ai quitté Baltimore sans prévenir personne. Je me demande encore comment mon frère a pu me retrouver.

J’imaginais comme ça avait du être difficile. Je le savais, c’était plus ou moins ce que j’avais fait moi aussi.. sauf que je n’avais pas eu la présence d’esprit d’aller aussi loin, de prendre un train ou quelque chose du genre. Il se souvenait très bien des émotions qui étaient associés à ce moment alors je serrais les dents à nouveau. Il y avait quelque chose de pire pourtant, quelque chose d’indéfini.

Alors j’éprouvais le besoin de dire quelque chose de rassurant. Même si j’avais presque l’impression de mentir.

-L’essentiel… c’est qu’il l’ait fait non ?

Mais finalement la noirceur l’emporta.

-Le mien… il ne me retrouverait pour rien au monde.

Juste après je me maudis de toute mes forces. Vraiment? On allait jouer à qui souffrait le plus? Je ne pouvais même plus distinguer sa peine de la mienne. Tout ceci était ridicule. J'aurais juste du me taire, et l'écouter lui.

-Je n’en sais rien… Je n’en sais rien du tout… j’imagine que les gens ont peur… ils ont peur qu’on leur veuille du mal… Je crois… je crois qu’en fait ils ont l’impression qu’on a choisi d’être comme ça... que c’est de notre faute… mais ils se trompent…

Je savais bien mais ça ne m'aidait pas. Sans réfléchir, je lui dis que malgré le fait que ses parents l'avaient rejetée, elle vivait avec sa mère... Et j'avais sauté avec insistance les deux pieds dans le tas. Je baissais les yeux et lâchais que j'avais quitté Baltimore sans prévenir personne, mais ça n'avait pas empêcher Ben de me retrouver.

-L’essentiel… c’est qu’il l’ait fait non ?

Sans doute.

-Le mien… il ne me retrouverait pour rien au monde.

Je grimaçais un sourire gêné.

- Il a tort. Ben' ferait tout pour moi, parce que je suis son frère. Un frère ou une soeur, c'est sensé être un peu comme un meilleur ami.

Je me passais la main dans les cheveux.

- Il aurait dû être là pour t'aider.

Je fis légèrement la moue.

- Je te refile mon frère si tu veux, fis-je avec humour. Tu serais aux petits oignons avec lui !

Le tutoiement m'était venu d'un coup. ça n'avait pas eu l'air de la traumatiser. Mais c'était sincère. Bon, on avait un peu poussé Benjamin à venir ici, mais depuis qu'il était là... Eh bien... J'avais de nouveau un frère.

- Tu as des personnes autour de toi, qui te soutiennent ? Qui ne te voient pas comme une bête de foire ?

Remarque stupide, elle était allée à l'Academy. Quoi que.

- C'est pour ça que je passe du temps derrière mon ordinateur. C'est plus facile d'oublier... "ce qui cloche". Enfin, c'est aussi mon métier.

Coïncidence des plus heureuses. Je fermais les yeux un instant. Contrairement à d'habitude, je me sentais un peu plus à l'aise qu'à mon arrivée. Il fallait dire que, vu qu'elle était empathe, elle devait percevoir très facilement mon état d'esprit et réagir en fonction. Le pire, c'était que ça avait l'air efficace, puisque mes revirements de conversations sans queue ni tête ne la perturbaient pas outre mesure. Coup de chance inespéré.

- J'espère que ça va s'arranger pour toi en tout cas.

ça n'allait pas être drôle de vivre ici, sinon. ça devait vite devenir pesant, si l'appartement reflétait le mental de sa mère. Chez moi, c'était un joyeux foutoir. Occasionnellement rangé à fond quand Benji poussait une gueulante... et de nouveau en pagaille au bout de quelques jours. Mais dans le bon sens du terme. Ce n'était pas non plus une porcherie.

J’avais parlé à Lennox de mon frère. Pourquoi avais-je fait cela. Moi qui avait décidé que je ne voulais plus être plainte, ni avoir besoin d’aide sans arrêt.

- Il a tort. Ben' ferait tout pour moi, parce que je suis son frère. Un frère ou une soeur, c'est sensé être un peu comme un meilleur ami.

Je ne réponds dit rien. Chez nous c’était un peu chacun pour soi, c’était comme ça. Il y avait si peu d’amour que chacun en cherchait un peu pour lui avant de s’occuper d’autrui. Ce n’était pas qu’il avait été mauvais au fond. A sa place, j’aurais peut-être fait pareil, compte tenu du contexte dans lequel nous avions grandit.

-Il aurait du être là pour t’aider.

Etrangement j’éprouvais le besoin de le défendre.

-Il ne pouvait pas… il avait trop peur… c’est tout…

J’espère qu’un de ses subits changements de sujet allait se produire à ce moment précis. Ce fut plus ou moins le cas.

-Je te refile mon frère si tu veux. Tu serais aux petits oignons avec lui !

Je souris. Evidement c’était une façon comme une autre de me remonter le moral, parce qu’il était vraiment concerné en réalité. Je me sentais un peu honteuse d’attirer encore une fois sur moi tant de pitié. Et j’étais contente qu’elle se manifeste sur l’humour.

-Ah répondis-je, qu’est ce qui te fait dire ça ?

Je l’avais tutoyé sans faire attention. Je voulais qu’il me parle de son frère à lui. Pour comprendre pourquoi en même temps il était toujours triste pour ne je ne savais quelle raison. Et puis aussi pour qu’on partage des choses. Après tout, nous avions des choses en commun, plus qu’on pourrait penser de prime abord.

- Tu as des personnes autour de toi, qui te soutiennent ? Qui ne te voient pas comme une bête de foire ? poursuivit-il.

Je lui souris parce que je n’en pouvais plus de sentir cette inquiétude en lui.

-Oui ! Le soir où je me suis enfuie, une parfaite inconnue m’a accueillie chez elle. Maintenant nous sommes amies. Elle m’a présentée à d’autre gens. Et puis il y a cette fille que j’ai rencontrée par hasard dans un parc. Idem on a sympathisé. C’est une mutante aussi. Après… j’ai pas fait beaucoup de connaissances à l’Academy, mais je sais que je peux compter sur McKnight en cas de pépin.

Rassuré un peu sans doute, il changea de sujet.

- C'est pour ça que je passe du temps derrière mon ordinateur. C'est plus facile d'oublier... "ce qui cloche". Enfin, c'est aussi mon métier.

La tristesse me submergea de nouveau.

-Hey… y’a rien qui cloche… essayais-je de dire. Je le pensais, maintenant dans un sens. Pour les autres en tout cas. L’espace d’une seconde, j’eus presque envie de poser ma main sur la sienne. Mais j’avais trop peur de ce que je risquais de trouver tout au fond.  Alors je me contentais de lui sourire.

- J'espère que ça va s'arranger pour toi en tout cas, dit-il encore.

A nouveau il s’était tourné vers moi.

-ça s’arrange petit à petit, répondis-je en essayant de sourire.

Et puis c’était mon tour de m’inquiéter pour lui.

-Mais vraiment, quand je dis qu’il n’y a rien qui cloche je suis sincère. Les gens ont peur mais c’est leur problème. Nous on y est pour rien. Je suis sûre qu’on peut faire des choses bien et qu’à force, tout le monde finira par comprendre. Où que j’aille, je trouve des gens bienveillants, qu’ils soient mutants ou pas. Ça veut dire que les autres n’ont juste pas confiance. Mais je suis sûre que ça va s’arranger il faut juste être patients.

-Ah qu’est ce qui te fait dire ça ?
- Ben est comme ça. Limite étouffant des fois, tellement il essaye d'être un grand frère protecteur.

C'était agaçant, mais il voulait bien faire... Comment lui en vouloir durablement ? Je demandais à Lyra si elle avait des personnes autour d'elle pour l'aider, en dehors de sa famille.

-Oui ! Le soir où je me suis enfuie, une parfaite inconnue m’a accueillie chez elle. Maintenant nous sommes amies. Elle m’a présentée à d’autre gens. Et puis il y a cette fille que j’ai rencontrée par hasard dans un parc. Idem on a sympathisé. C’est une mutante aussi. Après… j’ai pas fait beaucoup de connaissances à l’Academy, mais je sais que je peux compter sur McKnight en cas de pépin.

Comment pouvait-on compter sur quelqu'un qu'on ne connaissait pas ? Même en étant empathe. Je trouvais ça un peu bizarre. Mais c'était mon avis personnel et j'étais un peu du genre parano sur les bords, donc, c'était un avis quelque peu biaisé.

-Hey… y’a rien qui cloche…

Je lui dis que j'espérais que ça allait s'arranger pour elle.

-Mais vraiment, quand je dis qu’il n’y a rien qui cloche je suis sincère. Les gens ont peur mais c’est leur problème. Nous on y est pour rien. Je suis sûre qu’on peut faire des choses bien et qu’à force, tout le monde finira par comprendre. Où que j’aille, je trouve des gens bienveillants, qu’ils soient mutants ou pas. Ça veut dire que les autres n’ont juste pas confiance. Mais je suis sûre que ça va s’arranger il faut juste être patients.

Je me mordis songeusement les lèvres. Techniquement, on y était plutôt pour quelque chose, puisque nos pouvoirs étaient à l'origine de leur peur.

- Je suis pas si sûr, moi, fis-je avec un léger sourire.

Un sourire qui tenait assez de la lumière.

- J'ai pas vraiment foi en l'être humain. Je crois pas que la situation va réellement s'arranger. Pas tant qu'il y aura des gens comme Rover, à chercher le moindre prétexte pour attirer la haine contre les mutants. Et on ne peut rien contre lui, parce que si on s'en prenait à lui, ça prouverait qu'il a raison. Seulement, il y a plein de gens qui poussent les "mutants" à cran et forcément, même avec toute la patience du monde, il y en a toujours un qui va craquer et donc ça alimente le cercle et ça reboucle à nouveau...

Un brin fataliste, certes... Mais c'était ce qu'on voyait tous les jours. C'est ce qui ressortait dans les médias... Et chaque fois que ce tordu de Rover ouvrait sa grande gueule, ça empirait. Quoi que le Sénateur Hewitt et le Commandant McKnight puissent faire pour tenter de le démentir. Tout bonnement écœurant, pas vrai ? Je haussais les épaules.

- Dommage qu'on puisse pas changer le monde aussi facilement qu'on élabore des théories.

N'empêche que ça arrangerait pas mal de choses.

//sorry du retard et de la brièveté de la réponse ! :s

Il se mordit la lèvre pendant que je parlais et je sentis qu’il ne croyait pas un mot de ce que je venais dire. J’avais de l’espoir moi pourtant, même ayant grandit avec le père que j’avais eu, je restais convaincue que les choses finiraient par s’arranger. J’avais connu trop de gens bienveillants, on m’avait trop tendu la main pour que j’ai le droit d’en douter. Aussi sa réponse ne me surpris pas :

- Je suis pas si sûr moi…

Son sourire étrange contrasta étrangement avec la tonalité de son esprit. Au lieu de faire naître l’espoir j’avais ouvert une blessure douloureuse et je m’en mordais les doigts.

- J'ai pas vraiment foi en l'être humain. Je crois pas que la situation va réellement s'arranger. Pas tant qu'il y aura des gens comme Rover, à chercher le moindre prétexte pour attirer la haine contre les mutants. Et on ne peut rien contre lui, parce que si on s'en prenait à lui, ça prouverait qu'il a raison. Seulement, il y a plein de gens qui poussent les "mutants" à cran et forcément, même avec toute la patience du monde, il y en a toujours un qui va craquer et donc ça alimente le cercle et ça reboucle à nouveau...

Je me souvins de l’avertissement de Billy : rester loin de Rover, je comprenais mieux pourquoi. Son raisonnement se tenait je devais bien l’admettre. Possiblement quelqu’un allait « carquer » et faire quelque chose de stupide pour se défendre.  C’était même assez probable. J’essayais de ne pas me laisser contaminer par son désespoir, me rendant compte que j’éprouvais de la compassion pour quelqu’un avec une vision du monde aussi noire. Il poursuivit :

- Dommage qu'on puisse pas changer le monde aussi facilement qu'on élabore des théories.

Je lui souris. J’étais assez d’accord avec ça, en revanche. Je finis par soupirer un peu avant de poursuivre :

-C’est vrai vous avez raison les choses sont plus compliqué dans la vie que dans la théorie, mais si je suis convaincue que même s’il y a débordement, les gens finiront par entendre raison et par constater qu’il vaut mieux vivre ensemble que s’entredéchirer. Après tout, les conflits concernent une minorité de gens, la plupart sont neutres ou bienveillants à notre égard, même parmi les anti-mutants, j’ai l’impression que très peu seraient enclins à devenir violents.

Je sentais que je ne le ferais pas changer d’avis sur la question et j’étais un peu triste de me rendre compte que je ne pouvais rien faire.  Dans ces moments là, j’aurais voulu pouvoir montrer aux gens ce que je voyais, juste une fois. Montrer la peur des anti-mutants aux mutants, la colère et la honte des mutants aux anti-mutants. Après avoir vu ce que je vois, je sentais que plus personne ne serait capable de lever la main sur l’autre. Je pouvais comprendre chacune des postures. Je pouvais comprendre que les uns s’en prennent aux autres sans pour autant penser que c’est une bonne chose.

HJ: Pas grave.. j'ai pas fait bien long non plus...

Nous débattions de la question de savoir si les choses s’amélioreraient pour nous où non. J’étais convaincue que oui parce que j’avais vu l’esprit des gens. Mais lui restait résolument défaitiste et je n’y pouvais rien. Je ne pouvais pas lui faire partager ce savoir là, cette vérité si particulière à lui qui se disait pourtant à sa recherche. C’était un ordre de choses que seul moi pouvais connaître. Je lui disais que les gens réellement violents étaient une minorité. Après tout, j’avais moi-même été confrontée à un anti-mutant... et il m’était venu en aide.

- Eh bien, cette minorité est plutôt présente à Daytona Beach, malheureusement.

Je soupirais. Après tout… j’avais rencontré Sébastian… mais j’avais presque envie de dire que le bourreau de Jeyne n’était pas vraiment un anti-mutant. Après tout il était anti-mutant mais il aurait aussi bien pu être raciste, s’en prendre à elle parce qu’elle était une femme ou n’importe quoi d’autre de différent de lui. Mais au fond… cela devait être le cas pour la plupart des anti-mutants… au fond, personne ne nous détestait vraiment pour ce que nous étions, du moins c’est ce que je pensais.

- Peut-être qu'un jour les mentalités évolueront.

Je sautais sur l’occasion.

-Oui j’en suis convaincue. Ça finit toujours par être le cas comme chaque fois qu’une population s’est retrouvée discriminée.

Après tout, les mentalités avaient changés sur tellement de choses, les femmes, les esclaves… Chaque fois, la notion d’humanité finissait par l’emporter sur les différences.

- Tu dois bien être la première personne que je rencontre à être aussi optimiste sur la situation.

Je savais bien qu’en général les gens étaient plus pessimistes que moi sur bien des choses. En même temps, je voyais mal où on pouvait aller sans espoir. Et puis, j’avais des raisons de penser que j’avais raison, je ne pouvais pas juste les communiquer clairement. Je pouvais essayer, mais je devais d’abord réfléchir à comment m’y prendre.

- Heureusement, il y a quelques personnes qui nous acceptent sans rien dire...  Mais la plupart font juste comme si de rien n'était.

Je commençais pas essayer de lui sourire.

-Faire comme si de rien n’était c’est déjà bien. C’est considérer qu’au fond il n’y a pas vraiment de problème, que nous pouvons être traités indifféremment des autres.

J’inspirais un grand coup... sachant que ce que j’allais dire pouvait être confus ou compris de travers.

-Mais si je suis aussi optimiste tu vois... C’est parce que… c’est à cause de mon don surtout je pense. Je vois des choses… je veux dire… on pourrait croire que les gens cherchent à montrer le meilleur d’eux-mêmes... mais souvent… ils ne montrent pas tout ce qu’il y a de bon en eux…

Je soupirais, ayant l’impression qu’il n’allait pas me croire réellement.

-Et donc, je me dis qu’il ne manquerait pas grand chose pour… que les choses aillent mieux. Je sais que c’est possible, je le sens…

J’essayais de partager mon optimisme avec Lennox. Après tout, j’étais presque certaines que les choses pouvaient s’améliorer entre les mutants et les humains, qu’après tout il n’y avait pas de vrai raison pour la haine de s’installer. Finalement si je me disais cela c’était surtout grâce à mon don. Parce que je savais que souvent, en grattant sous la haine et la colère on tombait bien souvent sur le désespoir, la tristesse ou la peur.

- En gros, ils auraient besoin d'un coup de pied au cul du genre métaphysique pour comprendre ?

Je ris un peu.

-Euh… je sais pas vraiment… tout dépend de ce que tu entends par là.

Je doutais en tout cas de pouvoir mettre des coups de pieds ou que ce soit à qui que ce soit par la simple force de mon don.

-... Tu vois vraiment ce qu'il y a de bon chez les gens ? Mais ... Tu dois voir aussi le pire non ? Comment tu réussis à faire la part des choses comme ça ?

Je pris un moment pour réfléchir à cette nouvelle question. Encore une fois je me trouvais face à la difficulté extrême qui se présentait à moi lorsqu’il fallait parler de ce que je vivais à travers les autres.

-Très souvent…le pire c’est la surface. Au fond du fond… il n’y a souvent ni haine, ni colère, ni désir de nuire. Le pire des choses que vivent les gens, c’est la tristesse, la solitude, la haine de soi… Ces choses qu’on pourrait faire s’envoler si seulement ils pouvaient en parler. Il y aussi tellement de bons sentiments qu'ils ont peur de montrer...

Si seulement… Mais le plus souvent sur le devant de la scène dans la violence et non par les mots. Comme avec Sébastian par exemple.

- A ton avis, comment on pourrait faire pour changer les choses ? demanda-t-il encore.

Je soupirais cette fois, avant d’attraper un autre cookie sur l’assiette.

-C’est la question que je me pose… Mais juste… parfois j’aimerais que les gens puissent voir ce que je vois. S’ils pouvaient alors… ils ne pourraient tout simplement plus se haïr mutuellement.